Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sihonné et autres récits
21 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *3*

Les hommes revenaient du front, et pour la plupart, ils n’étaient pas encore au courant de ce qu’il pouvait se tramer depuis une bonne demi-heure. Du haut de la grande tour d’argent d’Assaïan, il était possible de suivre les cohortes de l’armée sihonnite ou ce qu’il en restait s’avançant vers la grande citadelle de Sizite. Le rythme de leur marche semblait soutenu et vaguement ordonné, même si il était facile de remarquer que ces hommes fuyaient prestement le très proche champ de bataille. Il ne restait plus grand-chose d’une armée au départ déjà bien minuscule face à des ennemis que plus personne ne comptait. Tout juste deux cents hommes si l’on ajoutait les blessés portés avec peine par les valides parce qu’il n’y avait pas assez de chevaux. Il ne devait plus manquer grand-chose pour que cette armée sihonnite soit synonyme de ridicule.

- « Capitaine ! Que va-t-il se passer ? Vous croyez vraiment que la cité va pouvoir résister aux tibreskaïans ? »

La question du capitaine piquier Bronisos traduisait toute l’incertitude dans laquelle se trouvaient les soldats sihonnites, même s’il ne semblait exprimer aucune peur particulière. Du fatalisme, de l’anxiété, mais pas de la peur. Il était certain comme tous les autres hommes et femmes formant cette armée que la fin arriverait à présent et qu’aucune échappatoire n’était à espérer. Il n’y avait plus qu’à attendre que les troupes tibreskaïanes fassent leur basse besogne et que le grand Inquisiteur balaye les terres de Sihonné comme un vulgaire tas de poussières à nettoyer.

- « Je crains bien que oui », répondit laconiquement et de façon bien las le capitaine Disétrimé. « Je crains bien que oui ».

Surpris de la réponse de son supérieur à sa question, Bronisos le fixa un cours instant sans s’arrêter de marcher, puis, pensant ne pas avoir bien compris, ou ne pas s’être fait bien comprendre, il se risqua à insister auprès de Disétrimé de façon embarrassée.

- « Veuillez m’excuser, mais je crois qu’il y a eu malentendu. Je vous ai demandé si la cité pouvait espérer tenir face à l’ennemi. »

- « J’ai bien entendu votre question, et vous avez bien entendu ma réponse. »

Le capitaine ne regarda plus son subordonné, ne rajouta rien, mais montra clairement par la sévérité de son regard qu’il ne fallait plus le déranger sous aucun prétexte, et qu’il valait mieux ne plus lui adresser la parole. Ce que comprit Bronisos. Et lorsque quelques minutes plus tard il traversa la grande porte Nord de la citadelle et que les sénateurs accompagnés de citoyens sihonnites le saluèrent lui et son armée, il ne prit ni la peine de leur rendre la pareils, ni même de leur jeter un regard, les ignorant promptement. Il ne doutait pas de la raison de leur présence ici. L’Impératrice devait d’ici quelques minutes passer ici pour se « confronter » à l’ennemi, et eux devaient attendre son passage. « Les sots » pensa le capitaine avant de monter dans ses quartiers à l’écart de tout le monde dans l’aile ouest de la grande cité forteresse.

Arrivé dans sa chambre de division, où plusieurs couches plutôt confortables pour du matériel militaire étaient disposées de façon très ordonnées, le capitaine s’approcha de son lit et y jeta négligemment cuirasse, cnémides et casque. Il s’étira, regarda autour de lui histoire de vérifier que personne d’autre que lui se trouvait dans cette grande pièce, puis s’assit sur sa couche pour ensuite se recroqueviller et se prendre la tête entre les deux mains. Les pensées fusaient dans son esprit, bien souvent noires et fatalistes. Il n’y avait pour lui plus aucun espoir, ni même d’avenir envisageable. Sihonné allait perdre son Impératrice. Disétrimé une femme pour laquelle il éprouvait un amour et une dévotion sans limites. Il se souvenait encore de ce jour où Sohina, jeune Impératrice de dix sept ans qui entamait sa première année de règne, l’avait nommé capitaine suprême des armées sihonnites et lui avait tendu l’épée de Sihonné.  L’épée avec laquelle la première souveraine sihonnite, Sihonné, avait défendu un peuple de colons alors bien faible. Sans aucun doute le plus beau jour de sa vie que cette nomination, surtout pour un homme ne cherchant pas particulièrement la promotion, comme tout sihonnite se respectant, mais juste à participer à la gloire d’un peuple et d’une patrie.

Il était rentré dans l’armée à l’âge de seize ans, la majorité mineure, et y serait bien rentré avant si le code sihonnite le permettait. En l’occurrence, il l’interdisait. Son père lui-même avait fait partie de la grande armée impériale. Et au vue de l’admiration qu’avait le fils pour son père, il semblait difficile d’imaginer une autre voie pour Disétrimé. Mais les choses n’étaient pas aussi évidentes qu’il n’y paraissait, car jamais il ne connue son père. Ce dernier fut  tué au combat déjà à l’époque contre les tibreskaïans alors que la division qu’il commandait avait été pris dans un traquenard dans les cols des Monts Sombres de Tibreska. Disétrimé allait naître trois mois plus tard. Et seule, sa mère allait éduquer celui qui serait l’un des plus grands commandants de guerre Sihonnite.

Mais il ne faudrait pas imaginer que seul un sentiment de vengeance l’avait poussé dans son choix. Un esprit de revanche tout au plus pouvait subsister au fond de lui, mais il n’était rien à côté de l’amour qu’il pouvait avoir pour sa patrie et son impératrice, et l’envie de rendre hommage à son défunt père par un parcours exemplaire au sein de la grande armée de Sihonné. Sa première motivation était clairement l’un des très grands principes sihonnites sur lequel reposait toute cette civilisation et que sa mère n’avait pas manqué de lui inculquer. Rien ne pouvait surpasser le besoin de servir le peuple de Sihonné et son Impératrice. Et surtout pas la haine, la rancœur, et un quelque souhait de vengeance bassement personnel. Ce genre de sentiments n’étaient pas vraiment tolérés et surtout pas du tout enseignés aux enfants sihonnites. Garder la tête froide et avant tout défendre les intérêts de Sihonné et de son peuple restaient les priorités. Et perdre un proche n’excusait en aucun cas le moindre écart de conduite. Transgresser la moindre règle ne viendrait en même pas à l’esprit du moindre citoyen sihonnite.

Le capitaine Disétrimé ne faisait pas exception. Et même face à son désespoir de voir son Impératrice mourir, même si il refusait de la voir s’éteindre, il savait inconsciemment qu’il ne pouvait s’opposer à ce qui allait arriver. Elle en avait décidé ainsi, et surtout, pour le bien du peuple sihonnite, il ne restait plus à Sohina qu’à mourir par son héritage Aséthriste. Impossible de s’opposer à ce qui n’était qu’un choix inéluctable au vue d’une situation désespérée pour tout un peuple au bord de sa propre fin.

Après un court instant de solitude, le capitaine se releva du lit sur lequel il s’était assis, et se dirigea vers l’office commanditaire. Il s’agissait du bureau de commandement où se réunissaient en cas de guerre ou de conflit les neuf commandeurs second, chacun à la tête d’une des neuf cohortes impériales, ainsi que le commandeur suprême et bien évidemment l’Impératrice. Une fois dans l’office, il ramassa le longue œil qui était précautionneusement posé dans un écrin feutré sur une sellette de bois laqué, et prit la direction de la tour de commandement par des escaliers qui partaient directement de l’office commanditaire. Une fois faites l’ascension des nombreuses marches, il se retrouva dans le grand Dôme d’observation. Une grande salle de pierre blanche d’Ascorie couverte par une énorme coupole de la même pierre, arrondie, ce qui donnait le nom de Dôme aux lieux, maintenue par un pilier central aux proportions cyclopéennes, recouvertes de cannelures. L’ouvrage prenait ainsi tout son sens. Car effectivement, tout le pourtour de la salle était ouvert sur l’extérieur, laissant un champ de vision plein que pas même une colonne ne venait gêner, si ce n’est, évidemment, celle tenant le toit de l’édifice.

Le capitaine se dirigea vers l’aiguille nord du Dôme, matérialisée par une flèche noire d’ambre incustée  dans le sol orientée vers l’extérieure de la salle, s’accouda sur le muret bordant les lieux, et sortit finalement son longue œil. Il s’agissait d’un tube de métal argenté allongeable mesurant à peine cinquante centimètre ouvert, et parcouru de plusieurs plaquettes de verres rondes et bombées permettant d’amplifier son champ de vision. Disétrimé ouvra l’objet entre ses mains et le plaqua contre son œil droit en direction des montagnes lointaines d’où arrivaient les soldats tibreskaïans. Ou plutôt d’où elles étaient arrivées. Car la grande armée de Tibreska se trouvait à présent dans la grande plaine verdoyante de Sidjé, à peine à trente minutes de marche de la citadelle sihonnite. Un frisson parcouru le capitaine lorsque sa vision prolongée croisa ces êtres repoussants à la peau noire et aux yeux remplis de sang. Malgré la distance de quelques quatre kilomètres, il croyait presque entendre leurs grognements hideux à la vue de leurs dents acérées et leurs mouvements de bouches répétés. Que pouvaient-ils bien dire ?

Il reposa furtivement son longue œil, puis regarda la grande porte Nord s’ouvrir. Malgré la hauteur, il distingua parfaitement la foule s’écarter dans la Grande Cour. Une femme simplement enveloppée d’une voilure blanche s’avança au milieu du passage qui lui été fait. Elle traversa ce grand porche s’ouvrant vers le nord, puis sortit pour la dernière fois de la grande Citadelle. Le capitaine suivait du regard la scène. Il voulait voir encore cette femme qu’il avait servi au péril de sa vie.

 

Publicité
Commentaires
Publicité