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Sihonné et autres récits

10 novembre 2008

La nuit des lames rouges *2*

Les jours qui suivirent la mort de Sohina et le deuil forcé du peuple n’engendrèrent pas la remise en place de l’ordre comme l’auraient pensé l’ensemble du peuple Sihonnite. Au contraire, les sénateurs ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin et continuèrent dans la suite de leurs décisions. Lorsque la citadelle de Sizite sortit de deux jours de somnolence funéraire, ce fut au tour des autres provinces de se voir imposer un sommeil de deux jours pour la mort de leur Impératrice Sohina. Les provinces les plus lointaines se trouvaient jusqu’à dix jours de marche de la cité capitale. Sihonné était un territoire vaste de plus de six millions de centuries à la géographie et la topologie très variée. Il était dès lors normal que l’information circulât avec une certaine lenteur. Les messagers ne manquèrent pas pour autant d’empressement. Comme si la peine et la peur avait pris leurs jambes, la nouvelle ne mit qu’une petite semaine à parcourir tout le territoire, toutes les logias, tous les esprits.

Certaines personnes pour autant jugèrent dispensable de s’appliquer le deuil. Si tous les habitants, tous les enfants, tous les travailleurs, tous les soldats, même commandeurs, observèrent le repos commandité, il n’en fut pas de même pour les sénateurs, eux même à l’initiative. Car pendant que le peuple jeunait et dormait, les discussions au sein du sénat ne manquèrent pas d’animation. Ceci pour ainsi dire aux yeux et à la barbe de tous les sihonnites. Les habitants les plus proches du sénat pouvaient aisément profiter des échanges engagés, la bâtisse sénatoriale et les logias n’étant pas des constructions privilégiant l’intimité mais plutôt le partage et l’ouverture vers les autres. Les asistis elles vivaient toujours dans le palais de l’Impératrice, ce qui leur donna l’opportunité d’entendre bien des voix raisonner dans les couloirs, et bien malgré elles, d’assister au plus inimaginable des débats.

Le débat en question avait été à l’initiative d’Octivus Noméanus, ceci seulement quelques minutes après l’intervention du sénateur Matrémi appelant au deuil. L’ensemble des sénateurs présents avaient été priés, et même forcés à assister à cette réunion qui visait avant tout à remettre en question l’ordre établi.

Le soleil s’était couché depuis un moment, mais sans pudeur, les échanges durèrent longtemps. Les clans au sein du Sénat s’affirmèrent avec véhémence. Si certains défendaient l’intérêt de leur propre personne et de leur confrérie, d’autres souhaitaient avant tout un maintien des choses, et la nomination d’une nouvelle impératrice. Ces derniers représentaient une majorité. Lorsque le soleil se leva, aucune décision n’était prise, et devant la fougue exprimée par ceux qui pouvaient s’appeler les conservateurs, ceux qui souhaitaient le maintien de l’ordre établi, les autres, les réformateurs préférèrent en rester là et reconduire les débats. Mais en fait, il n’y eu pas de repos ni pour un camp, ni pour l’autre, et ce fut à coups de menaces et de promesses que les réformateurs mirent la plus terrible des menaces sur les conservateurs, oubliant toutes les vertus défendues et respectées par l’ordre Sihonnite. L’honnêteté et la courtoisie avaient fait place au mensonge et à l’oppression, ceci devant tout le monde.

L’armée pansait elle ses propres plaies, et n’avait pas de temps et de forces à consacrer à ces querelles dont personne curieusement ne prenait conscience. Le capitaine Disétrimé lui-même sembla ignorer promptement ces agissements révolutionnaires. Les sihonnites prenaient ils réellement la mesure de ce qui se passait sous leurs yeux, d’évidence non. Chacun avait repris ses occupations et préoccupations après la courte période de deuil, et la mémoire de l’Impératrice même commençait déjà à s’effacer des esprits. Entretenir les douleurs morales n’était pas encore une fois dans les habitudes de ce peuple, ce renie se faisant bien inconsciemment.

Au trente deuxième jour après le décès de l’Impératrice et l’appel du sénateur Octivus Noméanus, cette campagne d’usure menée par les réformateurs arriva à son terme, et à sa réussite. Sur les soixante dix sept sénateurs que comptaient le Sénat, cinquante neuf à présent étaient favorable à ce qui pouvait être considéré comme une révolution. Car c’était plus qu’un simple coup d’état qui s’organisait. Si le Sénat prenait le pouvoir, l’ensemble des valeurs qui régissaient Sihonné risquaient d’être mises en charpie. Avec ce renversement de majorité, cet évènement semblait plus que proche, imminent, sachant que rien ne pouvait à première vue changer l’ordre en marche. Dans ces conditions, le Sénat fut encore une fois réunit pour mettre en place les derniers détails de ce qui allait être voté dans les trois jours qui suivraient.

De façon plus qu’évidente, rien ne pouvait plus empêcher les sénateurs de prendre le pouvoir, et les dernières protestations des quelques dix huit conservateurs semblaient bien vaines et inutiles. Le vote allait se faire  à bulletin secret pour la forme. La majorité absolue suffirait, même si quelques personnes pourraient être en désaccord. Ceux là ne comptaient à présent plus. D’ailleurs, pour ces renégats du pouvoir, ces révolutionnaires qu’étaient les réformateurs, plus rien d’autre ne comptaient que le pouvoir dont ils allaient faire l’acquisition. Le peuple sihonnite n’avait pas été cité une seule fois. Un nouveau temps s’annonçait pour Sihonné.

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29 septembre 2008

La nuit des lames rouges *1*

L’Impératrice venait seulement de mourir. Un épais nuage de poussière noire inondait les ruelles de Sizite. L’odeur de la mort se répandait dans les maisons, rattrapant les habitants qui n’auraient pas assisté au spectacle. Les Dieux venaient annoncer la fin de l’aséthriste, cela ne faisait aucun doute pour les sihonnites. Et cette apocalypse matérialisée était le funeste message qu’ils envoyaient. Mais les citoyens de Sihonné ne ressentaient aucune peur pour autant. Ils avaient la certitude que l’Impératrice avait réussi et que le sort du peuple était sauf. Et à vrai dire, si la peine était là, elle s’exprimait de façon plutôt modeste et modérée. Les pleurs étaient peu nombreux, principalement les très proches de l’Impératrice, comme sa famille ou certaines des asistis. Pleur pouvait même paraître exagéré. Des sanglots, des reniflements, quelques larmes, tout au plus. Tristesse il y avait, mais contenue. Un sihonnite n’exhibait jamais ses ressentis et sentiments quand il s’agissait d’un malheur. Même en cas de décès. Même pour un proche.

Chacun serait retourné à ses occupations. Chacun aurait repris le cour de son existence avec une petite pensée enfouie pour l’Impératrice Sohina. La civilisation sihonnite devait continuer d’exister, continuer de prospérer. Tout rentrerait dans l’ordre d’ici quelques heures. Quelques minutes. Mais il n’en fut pas ainsi. Et c’est à ce moment là qu’intervint le sénateur Matrémi appuyé par son camarade Octivus Noméanus et une grande majorité du sénat. En tout une cinquantaine d’hommes qui se regroupèrent et se mirent en face de la foule silencieuse.

- « Mes chers amis », harangua Matrémi l’air grave et peiné. « Notre grande Impératrice est morte pour nous. Nous lui devons la vie. Nous lui devons l’avenir de la civilisation Sihonnite. C’est pourquoi je vous demanderais à tous de partager la même peine et de marquer notre chagrin par une journée d’isolement commémoratif. Vous devrez tous quitter votre activité, votre travail, votre occupation pour retrouver vos demeures, et ceci pendant une durée de deux lunes. En hommage à votre Impératrice, vous observerez le jeûne sur cette même durée ainsi que le silence. Bon repos les amis, et que les Dieux vous soient bons et favorables. »

Puis l’ensemble des sénateurs se rapprocha des sihonnites présents, pas loin de trois milles tout de même, et les invitèrent en les orientant avec les bras à rejoindre leurs habitations. Ils arrivèrent à leurs fins assez aisément, et la population se montra des plus dociles. Désorientée qu’elle était, cela n’avait rien de surprenant. Pour cause, jamais ils n’avaient eu par le passé à suivre le moindre ordre d’une quelconque personne, et surtout pas d’un sénateur, et jamais ils n’avaient du ainsi porter un deuil. Le deuil d’ailleurs était un concept inexistant en Sihonné. Ce mot n’avait pas cours dans la langue sihonnite. Face à ce qu’il se passait, les sihonnites ne purent montrer la moindre protestation, ne comprenant pas ce qu’il était en train de se passer. Ne réalisant pas que certains pants de la civilisation qu’ils formaient venaient d’être simplement mis à bas.

Et ainsi, toute la grande citadelle s’endormit pendant près de deux jours. La vie permanente dans les ruelles quitta provisoirement Sizite pour mieux souligner la mort de l’Impératrice. Chaque habitant resta terré dans sa logia sans rien dire, rien manger, accompagné de ses proches en se contentant de dormir pour mieux laisser passer le temps. Et ce n’est pas seulement la tristesse qui gagna chaque sihonnite vivant dans la grande citadelle, mais aussi l’incrédulité voire la peur. Car l’isolement et le silence avait engendré une solitude que ne connaissaient pas les sihonnites. Et pire, la peur de l’ennemi revint dans les esprits. Et ce qui devait être jours de victoire se transforma en jours sombres pour tout un peuple.

21 septembre 2008

Dernière heure d'une Impératrice *6*

Sohina était à présent trop loin pour être vue à l’œil nu. Tout juste le capitaine Disétrimé pouvait il apercevoir une petite tâche blanche au milieu de la verdoyante plaine de Sidjé s’avancer vers la masse grouillante dont il était juste possible de voir la poussière qu’elle soulevait. Les troupes tibreskaïanes évoluaient à vive allure visiblement. Et les choses semblaient se précipiter inéluctablement. Il ne devait y avoir guère plus d’un demi mille entre l’Impératrice et le nuage brun que répandaient derrière eux les soldats du Tibreska. Mais l’approche de la confrontation n’enleva pas au capitaine son discernement. Aussi, eut-il le réflexe de reprendre son longue œil pour observer les choses plus précisément, et pour encore contempler Sohina un dernier instant.

Machinalement, ce fut d’abord vers les tibreskaïans qu’il orienta son instrument. Il lui était impossible de voir le visage de ces êtres repoussants, le longue œil pouvant permettre de voir loin, mais ayant tout de même ses limites, mais il suffisait de voir leur façon de progresser vers la cité de Sizite pour constater leur détermination. En rang bien ordonnés, serrés les uns contre les autres, ils couraient à très vive allures, cimeterres en avant, et rien ne semblaient plus pouvoir se mettre en travers le chemin. C’est d’ailleurs en se demandant encore de quelle façon Sohina allait pouvoir les arrêter que son attention et son longue œil se tournèrent vers cette dernière. Il ne la quitta d’ailleurs plus jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus la voir.

Elle était déjà nue. Un léger vent ondulait ses longs cheveux noirs. Sa peau blanche scintillait au milieu de l’étendue verte mystérieusement assombrie. Elle avançait sereinement face à son destin, et rien ne laissait entrevoir la moindre hésitation dans sa démarche. Curieusement, elle tenait sa main droite contre le haut de son torse. Peut être tenait-elle quelque chose. C’était en tout cas ce dont avait l’impression le capitaine Disétrimé à travers ce qu’il pouvait voir. Etant dans son dos, il ne put avoir la chance de regarder une dernière fois le visage de Sohina. Il ne cessait de se demander si celui-ci exprimait de la peur, de la joie, ou de l’indifférence. Ou autre chose. Finirait-elle sa vie heureuse ou triste ? Et surtout, souffrirait-elle ? Le capitaine lui-même se surprit à ressentir une certaine angoisse face à ses interrogations.

Puis après quelques minutes, une curieuse lueur le sortit de ses pensées. Elle semblait émaner de la main que Sohina avait posée sur le haut de son corps. Petit à petit, l’étrange lumière  grossissait à vue d’œil, mais rien encore qui aurait pu empêcher qui que ce soit de contempler ce qu’il se tramait. Un tout petit mouvement de son longue œil permit au capitaine de constater que les troupes Tibreskaïanes n’étaient plus qu’à quelques arpents de l’Impératrice. Trois ou quatre. Ils allaient se ruer sur elle d’ici quelques petites secondes. C’est à ce moment précis que les évènements dépassèrent tout ce qu’aurait pu imaginer Disétrimé.

La lumière se déploya  progressivement en une étrange sphère violacée qui entoura Sohina sur un rayon d’au moins deux ou trois arpents. Les monstres hideux du Tibreska rentrèrent à l’intérieur du demi globe transparent comme si de rien n’était. La lueur qui émanait du poitrail de Sohina n’avait pas régressé pour autant. Au contraire, la jeune femme  se retrouvait à présent totalement recouverte d’une nappe étincelante pas loin d’être aveuglante. Les premières hordes de soldats bondirent littéralement sur la masse lumineuse d’où il n’était plus possible de distinguer Sohina. Le contact fut très rude pour les tibreskaïans qui valdinguèrent comme de vulgaires poupées sans pour autant faire vaciller la pauvre Impératrice offerte à la violence de ses assaillants. La sphère violacée qui entourait l’Impératrice et qui n’avait cessé de croître se recroquevilla d’un seul coup sous l’œil observateur de Disétrimé pour disparaître totalement. Tout s’arrêta alors. Une dernière fois, le capitaine vit la princesse, ceci l’espace de quelques secondes, libérée de l’étreinte de cette mystérieuse lumière. Les monstres ne cessaient de lui bondirent dessus pour à chaque fois être projetés comme de vulgaires fétus de paille sans pouvoir la faire ne serait-ce que trembler.

La lumière explosa  alors littéralement du corps de Sohina, obligeant Disétrimé à masquer ses yeux pour ne pas être aveuglé. Il se contenta de regarder entre ses doigts pour tenter vainement d’atténuer l’intensité lumineuse. Celle-ci s’éteignit aussi rapidement qu’elle était apparue. Le capitaine avait alors devant ses yeux  un énorme nuage sombre et violet qui se formait et se répandait au dessus de la plaine. Ayant conservé une partie de son sang froid, il reprit son longue-œil et rejeta son regard vers le sol, là où avait été Sohina. Elle s’était volatilisée en même temps que la lumière s’était éteinte. Et de l’endroit duquel l’avait vu pour la dernière fois Disétrimé partait l’énorme nuage, mais surtout un cercle de poussière qui s’étalait et progressait à une incroyable vitesse, balayant tout sur son passage. L’intégralité des troupes du Tibreska furent simplement pulvérisées à son contact.

Le capitaine réalisa rapidement qu’il s’agissait d’un souffle à la puissance et la vitesse sans limite qui n’épargnerait rien sur son passage : arbres, animaux, tibreskaïans, pierres. Rien ne pouvait résister à la fureur de ce vent ravageur et punisseur qui ne laissa aucune chance à ses adversaires de s’en sortir. Puis, quelques secondes seulement après le début de sa formation, ce cercle venteux commença à diminuer d’intensité pour terminer en un vent chaud plus faible qu’à son apogée, mais encore très fort. Suffisamment pour que le capitaine se sente obligé de protéger ses yeux et de se courber pour y faire face lorsque celui-ci arriva sur la citadelle. Puis une fois le vent passé, plus rien. Le silence regagna la citadelle. Un épais nuage de poussières noires rendait à présent la vue difficile. Une odeur de carbonisé planait dans l’air, agressant allègrement les narines du capitaine.

Il descendit lentement de la tour de commandement, tentant de reprendre progressivement ses esprits, regagna les quartiers militaires, et sortit directement retrouver les autres soldats valides qui devaient encore se trouver du côté de la porte nord. Il ne partagerait rien de ce qu’il avait vu. Mais il avait conscience d’être un spectateur privilégié. Il sera le dernier à avoir vu Sohina vivante, et surtout, il sera le seul à avoir vu ce qu’il s’était passé.

19 septembre 2008

Dernière heure d'une Impératrice *5*

Le peuple sihonnite assimilait encore avec peine ce à quoi il était en train d’assister. Le regard pantois des sujets de l’Impératrice lors de son passage au milieu d’eux montrait toute leur détresse et surtout leur incompréhension. La plupart, pour ne pas dire tous, ne comprenait, ou ne réalisaient pas vraiment ce qu’il se tramait devant leurs yeux. Et pourtant, tous savaient à présent le sort qui attendait Sohina, cette Impératrice aséthriste que plus personne n’espérait avant sa nomination il y a déjà dix sept ans de cela. Il fallait bien se rendre compte qu’avant ce que l’on nommait la « révélation » Sohina, dans l’esprit et la tête de tous les sihonnites, jamais plus une aséthriste ne succéderait à Sihonné. Celle qui avait donné son nom au peuple Sihonnite resterait la dernière héritière aséthriste par sa filiation directe avec ses ancêtres. Mais il y eut cette jeune fille qui naquit un jour d’apoguiliade de l’an cent soixante quatorze de l’ère sihonnite.

Issue d’une famille de paysans du nord du pays, et après une enfance relativement tranquille, comme tout enfant sihonnite, son adolescence fut marquée par le départ de sa famille pour Sizite. La sècheresse avait été rude dans cette partie du territoire. La plupart des habitants furent contraints à quitter leur maison. Et à vrai dire, personne n’avait encore réellement remarqué une quelconque particularité dans le comportement de Sohina si ce n’était l’iris de ses yeux étrangement violacée. Même lors de son départ avec ses proches vers la grande citadelle sihonnite, rien ne transparaissait sous son allure de jeune fille. Tout juste semblait elle un peu plus éveillée que les autres, et disposant d’une aisance physique plus développée que les autres jeunes garçons de son âge, mais elle-même n’avait rien remarqué. Son corps était celui d’une jeune fille pratiquant très régulièrement l’exercice physique, une musculature fine et élégante ne dénaturant pas ses vertus féminines. Pourtant, une force cachée résidait au fond d’elle. D’où ce besoin perpétuel de se dépenser, de libérer son corps de ce surplus de vitalité. Ce sont ces aptitudes qui la conduisirent à rentrer dans la grande armée sihonnite seulement trois ans après son arrivée dans la grande cité. A vrai dire, elle y avait songé depuis longtemps. Et personne ne s’opposa à son choix. Il était inimaginable pour un parent sihonnite de s’opposer aux désirs de leurs enfants, surtout une fois passée l’âge de la majorité mineure. Même si la vie pouvait leur être ôtée au combat.

Car comme si la vie de Sohina avait été guidée par les Dieux, ce fut en pleine guerre contre les hordes tibreskaïanes qu’elle entra dans la grande armée sihonnite. Et dès les premiers jours de son intégration, avant même d’avoir participé à sa première bataille, les aptitudes de la future Impératrices furent rapidement remarquées. Sa force était sans commune comparaison. Et sa capacité à réfléchir rapidement également. Mais rien encore qui puisse laisser entendre qu’il pouvait s’agir d’une aséthriste. Personne n’avait du encore remarquer ses yeux violets comme la plus travaillées des améthystes. Et ce fut au simple rang de soldat qu’elle participa à la grande bataille de Sidjé, sa première bataille. Mais au vu de ses qualités déjà constatées, le commandant second de sa cohorte préféra la mettre en première ligne avec les piquiers. L’égalité entre les sexes était une vérité en Sihonné. Particulièrement dans la grande armée.

Cette bataille restera à jamais gravée dans tous les esprits. Car non seulement l’armée Impériale écrasa l’ennemi venu de l’autre côté des montagnes Sonossolé, mais le combat révéla une  nouvelle Impératrice aséthriste dont la présence fut capitale pour la victoire. Les soldats sihonnites présents, près de dix milles à cette époque, purent témoigner des exploits de la jeune fille pourtant juste âgée de seize ans. Elle se battait avec une aisance, une facilité sans comparaison avec ses compagnons d’arme. Ses gestes étaient précis, incisifs, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Même pas la lame qui lui blessa pourtant profondément le mollet. La puissance qu’elle dégageait impressionnait les soldats, terrorisait ses adversaires. Le plus marquant restait la façon dont elle manipulait ses deux sinolines. Car non contente de tenir sa grande lame d’acier d’une seule main, elle en avait ramassé une autre à terre, et s’en servait avec une aisance surnaturelle comme si celles-ci avaient été faites dans le plus léger des matériaux.

Et malgré la victoire, lorsque le combat fut terminé, les neuf cohortes rentrèrent dans le plus grand des silences, conscients de ce à quoi ils venaient d’assister. Sa  blessure au mollet la faisait souffrir. Sohina refusa d’être portée, et marcha en grimaçant jusqu’à la grande citadelle de Sizite. Plus de cinq heures de dure marche sous un soleil étouffant. Et curieusement, elle ne semblait pas encore se rendre compte de ce qu’il était en train de se passer. A peine réalisait-elle la portée de son exploit. La hauteur de son exploit. Et lorsqu’avec les autres soldats, elle traversa la porte nord et s’apprêta à rentrer dans les quartiers militaires pour se reposer, elle fut surprise, voire embarrassée de se faire appeler par le commandeur suprême. Et ce sentiment s’amplifia davantage quand ce même commandeur suprême, accompagné des neuf commandeurs seconds, l’invita à se présenter devant l’Impératrice en personne.

Entourée à présent de tous les commandeurs que comptait Sihonné, elle marcha anxieuse le long du couloir de la demeure impériale, ceci jusqu’à la salle de détente de l’Impératrice Issinia. Cette dernière discutait avec l’asistis Céïphali, et à leur mine grave, Sohinna ne sut plus où se mettre. Et il fallut que l’Impératrice, apercevant la demoiselle de tous les exploits, bondisse littéralement sur Sohina pour que celle-ci, toujours confuse, se libère de son inquiétude jusqu’alors croissante. Bien sûr, elle ne comprenait toujours pas la situation, mais au moins, les ennuis ne semblaient plus s’annoncer. Aussi, resta-t-elle stoïque face à la réaction de son Impératrice dont le comportement visiblement la surprit pour le moins. Elle parvint tout de même à afficher un sourire reconnaissant et demanda confuse mais rassurée à la grande Impératrice Issinia qu’elle rencontrait pour la première fois ce qu’il se passait. Et tentant de contenir son excitation, l’Impératrice lui répondit en la regardant droit dans les yeux, un grand sourire illuminant son visage légèrement ridé par le temps :

- « Vous êtes aséthriste mon enfant ! Vous rendez vous compte ? »

Sohina la fixa, incrédule, montrant indiscutablement que non, elle ne se rendait pas vraiment compte. Une soudaine démangeaison la força à plier sa jambe et à poser sa main sur son mollet blessé pour le soulager, la sortant momentanément de sa torpeur. Cela n’était pas des plus élégants, mais l’envie était trop forte pour être contenue. Et aussitôt le bout de ses doigts encore couverts de sang séché au contact de ce qui aurait du être une plaie béante, une curieuse sensation l’envahit à nouveau. Il était déjà curieux que la douleur ait ainsi régressé. Mais à présent, il était encore plus incroyable de constater que la blessure venait de commencer à se cicatriser.

- « Déjà en voie de guérison ? », demanda satisfait le commandeur suprême Athias comme pour lui prouver ce que venait de lui annoncer l’Impératrice.

Sohina jeta un œil sur sa jambe pour se rendre compte qu’effectivement, la plaie, encore très laide, commençait, et ce de façon significative, à se refermer. Inutile de préciser qu’en principe, Sohina devrait être en train de souffrir, et des soins auraient du être prodigués pour stopper l’hémorragie et désinfecter la blessure. Rien de tout cela n’avait été nécessaire. Un miracle avait eu lieu. Et malgré cela, Sohina ne réalisait pas encore. Elle se demandait même si l’Impératrice s’était réellement adressée à elle.

- « Avez-vous peur jeune fille », demanda toujours avec une certaine jovialité Issinia ?

Sohina regarda à nouveau l’Impératrice fixement, puis, tentant de se ressaisir, elle répondit simplement :

- « Je n’ai pas peur Dame Issinia.»

L’Impératrice Issinia fixa à son tour la demoiselle en face d’elle, puis pris le visage de Sohina entre ses mains pour finalement lui annoncer qu’elle avait trouvé celle qui allait lui succéder. Et ainsi, Sohina, le trentième premissi d’Infantiade de l’année cent quatre vingt onze fut choisit à la succession d’Issinia pour devenir la huitième Impératrice sihonnite. Et ce qui avait été sa première bataille resterait aussi sa dernière. Car en aucun cas une Impératrice n’était en droit de risquer sa vie sur le champ de guerre. Et après un an d’apprentissage sous le règne d’Issinia, Sohina devint officiellement Impératrice.

Et force est de constater que son règne marqua les sihonnites bien plus que les autres Impératrices, Sihonné également. Sohina était aséthriste alors que plus rien ne pouvait laisser entrevoir l’espoir de revoir héritage de l’ancienne civilisation d’Aséthrie. Mais au-delà de cet aspect, bien des évènements survinrent durant ses seize ans de règne. Des évènements qui multiplièrent les situations et prises de décisions délicates pour Sohina. Des évènements qui finalement la conduisirent ce jour là à se sacrifier grâce à ses capacités aséthristes, et ce sous les yeux d’un peuple qui avait la plus grande des admirations pour leur Impératrice.

Elle n’était plus visible à présent pour tous ceux qui étaient postés sur le premier rempart. Son passage sous le porche de la grande porte nord avait eu lieu il y a maintenant pas loin d’une heure. Chacun attendait que quelque chose arrive, qu’un miracle s’exprime sous leurs yeux, sans savoir de quelle façon celui-ci interviendrait. Un silence sans fin se répandait parmi les quelques milliers de personnes présentes. Puis il y eu un bruit sourd. Un grondement bref mais clairement perceptible qui fit jusqu’à trembler la terre sous les pieds. Tous retinrent leur souffle. Ensuite, ce fut une lumière qui éclaboussa toute la plaine de Sidjé. Une lumière qui s’éteignit d’un seul coup pour rayonner la seconde d’après avec d’avantage d’intensité. Une intensité telle que les sihonnites contemplant le spectacle durent fermer leurs yeux. Succéda enfin un bruit de tonnerre assourdissant pour terminer sur un vent violent particulièrement chaud, qui ne manqua pas de faire vaciller certains des spectateurs présents.

Puis à nouveau un silence. Tout rentra dans l’ordre. Personne ne douta de la réussite de Sohina, même si la plupart, pour ne pas dire tous, ne comprenait pas réellement ce qu’il avait bien pu se passer. Leur Impératrice était morte, et eux vivant grâce à elle. Voilà tout ce qui comptait.


28 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *4*

Alors qu’elle passait au milieu de ce peuple qu’elle chérissait au plus profond d’elle, la grande porte nord s’ouvra devant elle. Le silence pesant renforçait son impression de solitude. Car même si elle croyait réellement à la justesse de son acte, elle était à présent seule, et personne ne l’accompagnerait au milieu de cette plaine où sa vie serait donnée pour la survie d’un peuple entier. Elle marchait tel un funambule, ne regardant rien autour d’elle, fixant ces hautes montagnes d’où semblait venir le châtiment du grand inquisiteur. Elle n’aurait pas besoin de parcourir un aussi long chemin. La plaine de Sidjé grouillait déjà de la plus repoussante des vermines tibreskaïannes. Le temps était compté, et il fallait presser le pas, car les hordes du grand Inquisiteur évoluaient rapidement. L’Impératrice savait qu’elle devait se dépêcher. Elle n’osait pas imaginer l’éventualité d’agir alors que la cité resterait encore trop proche. Un désastre sans nom.

Un léger courant d’air en provenance du nord vint lui caresser froidement le visage. Les montagnes du nord semblaient vouloir la défier par cette provocation qui la fit à peine frémir. Ces énormes crocs noirs s’étendaient devant elle à perte de vue. Si loin et pourtant paraissant si proches. Quelques jours de marches tout au plus. Mais elle n’aurait pas besoin d’aller si loin. La mâchoire purulente avait déversé toute sa salive venimeuse dans la plaine pure de Sidjé. Les monstres de Tibreska s’approchaient tout nombreux qu’ils étaient. Sohina n’avait aucune peine à s’imaginer ces soldats à la peau noire et rêche, aux dents longues et pointues, ruisselant de sang et de salive. Des êtres crées par l’innommable. Par le grand Inquisiteur. Ils avaient semblé se multiplier avec une rapidité effarante. Et plus rien ne semblait pouvoir arrêter leur progression sans fin. Leur soif apparente de destruction et de haine. De violence et de mort. Des sentiments totalement incompréhensibles pour les sihonnites et leur Impératrice.

Car en effet, Sohina ne ressentait pas la moindre haine à l’égard des tibreskaïans. Ils étaient adversaires des sihonnites, et à cet égard, tout le respect devait leur être du. Ils s’étaient affronté à armes égales, et avaient su se montrer plus fort que la grande armée sihonnite qui n’avait plus de grand que son nom. Et de toute façon, même si les moyens utilisés par l’ennemis se trouvaient être déloyaux ou immoraux, l’Impératrice et les sihonnites n’en tiendraient pas rigueur. Chacun avait ses valeurs. Et les sihonnites en général n’avaient pas la prétention d’être les meilleurs. Ils cherchaient juste leur voie et la prospérité. Mais ils étaient par contre prêts à tout mettre en œuvre pour défendre Sihonné et ses habitants. D’où la décision de l’Impératrice de se sacrifier. Car aucune vie ne pouvait justifier de la fin de la civilisation sihonnite. Le contraire si. Et l’Impératrice ne faisait pas exception, elle qui marchait vers son inéluctable fin.

Jamais elle ne se retourna. Jamais elle ne fut tentée de regarder une dernière fois ceux pour qui elle allait mourir. Pas loin de deux milles la séparaient de la grande porte nord de Sizite à présent. Les sihonnites ne devaient plus la voir. Les colonnes désorganisées du Tibreska se présentaient à présent en face d’elle. Sa marche était régulière, et déjà, une éternité semblait s’être écoulée depuis son départ. Les bruits au nord et les soldats tibreskaïans semblaient encore lointains.

L’Impératrice se dépara de son étoffe de lin, que le vent emporta selon son grès. Elle se retrouva alors nue, révélant sa peau claire et blanche comme le froid pur d’apoguiliade, son corps musclé, mais néanmoins souple et mince d’ancienne soldat sihonnite. Seul son pendentif aséthriste pendait à son cou. Une pierre grise sertie dans une légère enveloppe de verre. Elle porta sa main droite dessus et ne le lâcha plus. Et lorsque les premiers hurlements tibreskaïans lui parurent vraiment proches, elle serra encore plus fort le bijou. Les visages de l’ennemi lui apparaissaient à présent clairement. Hideux, monstrueux, emprunts de violence, de colère. Le grand Inquisiteur lâchait tout ses atouts.

Sohina ne pouvait plus fuir. Mais elle n’en avait jamais eu l’envie. Sa main fermement serrée sur son diamant aséthriste, elle n’entendait et ne voyait à présent plus rien. Enveloppée dans une nappe de lumière éclatante, plus rien n’existait, comme si les dieux l’avaient prise dans leurs mains. La pierre autour de son coup étincelait, mais ses yeux ne s’en trouvaient pas gênés pour autant. Elle sentait l’objet la transporter, comme si sa propre personne se voyait allégée du poids de son corps. Sa tristesse avait disparu, jamais elle ne s’était sentie aussi apaisée.

Alors que l’armée du grand Tibreska lui bondissait dessus, une certaine plénitude s’installa au fond d’elle. Et la mort ne lui faisait plus peur. Elle était sihonnite. Elle était aséthriste. La peur n’était qu’un souffle passager qui était venu lui chatouiller l’esprit. Sohina n’avait pas à avoir peur. Son destin était à présent aux mains des dieux.
 

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21 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *3*

Les hommes revenaient du front, et pour la plupart, ils n’étaient pas encore au courant de ce qu’il pouvait se tramer depuis une bonne demi-heure. Du haut de la grande tour d’argent d’Assaïan, il était possible de suivre les cohortes de l’armée sihonnite ou ce qu’il en restait s’avançant vers la grande citadelle de Sizite. Le rythme de leur marche semblait soutenu et vaguement ordonné, même si il était facile de remarquer que ces hommes fuyaient prestement le très proche champ de bataille. Il ne restait plus grand-chose d’une armée au départ déjà bien minuscule face à des ennemis que plus personne ne comptait. Tout juste deux cents hommes si l’on ajoutait les blessés portés avec peine par les valides parce qu’il n’y avait pas assez de chevaux. Il ne devait plus manquer grand-chose pour que cette armée sihonnite soit synonyme de ridicule.

- « Capitaine ! Que va-t-il se passer ? Vous croyez vraiment que la cité va pouvoir résister aux tibreskaïans ? »

La question du capitaine piquier Bronisos traduisait toute l’incertitude dans laquelle se trouvaient les soldats sihonnites, même s’il ne semblait exprimer aucune peur particulière. Du fatalisme, de l’anxiété, mais pas de la peur. Il était certain comme tous les autres hommes et femmes formant cette armée que la fin arriverait à présent et qu’aucune échappatoire n’était à espérer. Il n’y avait plus qu’à attendre que les troupes tibreskaïanes fassent leur basse besogne et que le grand Inquisiteur balaye les terres de Sihonné comme un vulgaire tas de poussières à nettoyer.

- « Je crains bien que oui », répondit laconiquement et de façon bien las le capitaine Disétrimé. « Je crains bien que oui ».

Surpris de la réponse de son supérieur à sa question, Bronisos le fixa un cours instant sans s’arrêter de marcher, puis, pensant ne pas avoir bien compris, ou ne pas s’être fait bien comprendre, il se risqua à insister auprès de Disétrimé de façon embarrassée.

- « Veuillez m’excuser, mais je crois qu’il y a eu malentendu. Je vous ai demandé si la cité pouvait espérer tenir face à l’ennemi. »

- « J’ai bien entendu votre question, et vous avez bien entendu ma réponse. »

Le capitaine ne regarda plus son subordonné, ne rajouta rien, mais montra clairement par la sévérité de son regard qu’il ne fallait plus le déranger sous aucun prétexte, et qu’il valait mieux ne plus lui adresser la parole. Ce que comprit Bronisos. Et lorsque quelques minutes plus tard il traversa la grande porte Nord de la citadelle et que les sénateurs accompagnés de citoyens sihonnites le saluèrent lui et son armée, il ne prit ni la peine de leur rendre la pareils, ni même de leur jeter un regard, les ignorant promptement. Il ne doutait pas de la raison de leur présence ici. L’Impératrice devait d’ici quelques minutes passer ici pour se « confronter » à l’ennemi, et eux devaient attendre son passage. « Les sots » pensa le capitaine avant de monter dans ses quartiers à l’écart de tout le monde dans l’aile ouest de la grande cité forteresse.

Arrivé dans sa chambre de division, où plusieurs couches plutôt confortables pour du matériel militaire étaient disposées de façon très ordonnées, le capitaine s’approcha de son lit et y jeta négligemment cuirasse, cnémides et casque. Il s’étira, regarda autour de lui histoire de vérifier que personne d’autre que lui se trouvait dans cette grande pièce, puis s’assit sur sa couche pour ensuite se recroqueviller et se prendre la tête entre les deux mains. Les pensées fusaient dans son esprit, bien souvent noires et fatalistes. Il n’y avait pour lui plus aucun espoir, ni même d’avenir envisageable. Sihonné allait perdre son Impératrice. Disétrimé une femme pour laquelle il éprouvait un amour et une dévotion sans limites. Il se souvenait encore de ce jour où Sohina, jeune Impératrice de dix sept ans qui entamait sa première année de règne, l’avait nommé capitaine suprême des armées sihonnites et lui avait tendu l’épée de Sihonné.  L’épée avec laquelle la première souveraine sihonnite, Sihonné, avait défendu un peuple de colons alors bien faible. Sans aucun doute le plus beau jour de sa vie que cette nomination, surtout pour un homme ne cherchant pas particulièrement la promotion, comme tout sihonnite se respectant, mais juste à participer à la gloire d’un peuple et d’une patrie.

Il était rentré dans l’armée à l’âge de seize ans, la majorité mineure, et y serait bien rentré avant si le code sihonnite le permettait. En l’occurrence, il l’interdisait. Son père lui-même avait fait partie de la grande armée impériale. Et au vue de l’admiration qu’avait le fils pour son père, il semblait difficile d’imaginer une autre voie pour Disétrimé. Mais les choses n’étaient pas aussi évidentes qu’il n’y paraissait, car jamais il ne connue son père. Ce dernier fut  tué au combat déjà à l’époque contre les tibreskaïans alors que la division qu’il commandait avait été pris dans un traquenard dans les cols des Monts Sombres de Tibreska. Disétrimé allait naître trois mois plus tard. Et seule, sa mère allait éduquer celui qui serait l’un des plus grands commandants de guerre Sihonnite.

Mais il ne faudrait pas imaginer que seul un sentiment de vengeance l’avait poussé dans son choix. Un esprit de revanche tout au plus pouvait subsister au fond de lui, mais il n’était rien à côté de l’amour qu’il pouvait avoir pour sa patrie et son impératrice, et l’envie de rendre hommage à son défunt père par un parcours exemplaire au sein de la grande armée de Sihonné. Sa première motivation était clairement l’un des très grands principes sihonnites sur lequel reposait toute cette civilisation et que sa mère n’avait pas manqué de lui inculquer. Rien ne pouvait surpasser le besoin de servir le peuple de Sihonné et son Impératrice. Et surtout pas la haine, la rancœur, et un quelque souhait de vengeance bassement personnel. Ce genre de sentiments n’étaient pas vraiment tolérés et surtout pas du tout enseignés aux enfants sihonnites. Garder la tête froide et avant tout défendre les intérêts de Sihonné et de son peuple restaient les priorités. Et perdre un proche n’excusait en aucun cas le moindre écart de conduite. Transgresser la moindre règle ne viendrait en même pas à l’esprit du moindre citoyen sihonnite.

Le capitaine Disétrimé ne faisait pas exception. Et même face à son désespoir de voir son Impératrice mourir, même si il refusait de la voir s’éteindre, il savait inconsciemment qu’il ne pouvait s’opposer à ce qui allait arriver. Elle en avait décidé ainsi, et surtout, pour le bien du peuple sihonnite, il ne restait plus à Sohina qu’à mourir par son héritage Aséthriste. Impossible de s’opposer à ce qui n’était qu’un choix inéluctable au vue d’une situation désespérée pour tout un peuple au bord de sa propre fin.

Après un court instant de solitude, le capitaine se releva du lit sur lequel il s’était assis, et se dirigea vers l’office commanditaire. Il s’agissait du bureau de commandement où se réunissaient en cas de guerre ou de conflit les neuf commandeurs second, chacun à la tête d’une des neuf cohortes impériales, ainsi que le commandeur suprême et bien évidemment l’Impératrice. Une fois dans l’office, il ramassa le longue œil qui était précautionneusement posé dans un écrin feutré sur une sellette de bois laqué, et prit la direction de la tour de commandement par des escaliers qui partaient directement de l’office commanditaire. Une fois faites l’ascension des nombreuses marches, il se retrouva dans le grand Dôme d’observation. Une grande salle de pierre blanche d’Ascorie couverte par une énorme coupole de la même pierre, arrondie, ce qui donnait le nom de Dôme aux lieux, maintenue par un pilier central aux proportions cyclopéennes, recouvertes de cannelures. L’ouvrage prenait ainsi tout son sens. Car effectivement, tout le pourtour de la salle était ouvert sur l’extérieur, laissant un champ de vision plein que pas même une colonne ne venait gêner, si ce n’est, évidemment, celle tenant le toit de l’édifice.

Le capitaine se dirigea vers l’aiguille nord du Dôme, matérialisée par une flèche noire d’ambre incustée  dans le sol orientée vers l’extérieure de la salle, s’accouda sur le muret bordant les lieux, et sortit finalement son longue œil. Il s’agissait d’un tube de métal argenté allongeable mesurant à peine cinquante centimètre ouvert, et parcouru de plusieurs plaquettes de verres rondes et bombées permettant d’amplifier son champ de vision. Disétrimé ouvra l’objet entre ses mains et le plaqua contre son œil droit en direction des montagnes lointaines d’où arrivaient les soldats tibreskaïans. Ou plutôt d’où elles étaient arrivées. Car la grande armée de Tibreska se trouvait à présent dans la grande plaine verdoyante de Sidjé, à peine à trente minutes de marche de la citadelle sihonnite. Un frisson parcouru le capitaine lorsque sa vision prolongée croisa ces êtres repoussants à la peau noire et aux yeux remplis de sang. Malgré la distance de quelques quatre kilomètres, il croyait presque entendre leurs grognements hideux à la vue de leurs dents acérées et leurs mouvements de bouches répétés. Que pouvaient-ils bien dire ?

Il reposa furtivement son longue œil, puis regarda la grande porte Nord s’ouvrir. Malgré la hauteur, il distingua parfaitement la foule s’écarter dans la Grande Cour. Une femme simplement enveloppée d’une voilure blanche s’avança au milieu du passage qui lui été fait. Elle traversa ce grand porche s’ouvrant vers le nord, puis sortit pour la dernière fois de la grande Citadelle. Le capitaine suivait du regard la scène. Il voulait voir encore cette femme qu’il avait servi au péril de sa vie.

 

14 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *2*

La porte se referma lourdement derrière Sohina et Kaïcina se rua sur son impératrice. L’asistis perdit tout sang froid et enserra dans ses bras l’Impératrice qui se contenta de rester stoïque, debout, sans rien dire, ni rien faire, se laissant faire passivement. Et alors que Kaïcina ne retenait nullement sa peine, pleurant et sanglotant sans retenue, Sohina elle semblait rester indifférente à tout ce qui pouvait se passer autour d’elle à présent.

- « Asistis Kaïcina », intervint une voix derrière elles. « Nous allons devoir entamer les ablutions. Conduisez la grande Aséthriste à son bain et dénudez là. Concentrez-vous sur votre tâche. Nous sommes toutes tristes. Mais les explosions de sentiments ne changeront rien et n’arrangeront rien. »

L
a voix sèche de l’asistis Chaïna avait suffit à calmer Kaïcina alors que les sept autres femmes au service de l’Impératrice peinaient à retenir leurs larmes. Aucune ne montra de l’hostilité à l’égard de l’attitude familière de Kaïcina, et chacune se hâta à la préparation du protocole. Tout devait être impeccable. Tout devait être à la hauteur de la grande Impératrice. Et cette dernière préparation de leur souveraine aurait un goût bien particulier, même si la fierté d’être asistis résidait au plus profond de leur cœur.

L’asistis n’est pas n’importe qui, il convient de le rappeler. Et il serait bien maladroit de les considérer comme les simples domestiques de l’Impératrice, alors qu’elles jouissaient d’un statut bien particulier, et plus que privilégié. A ce titre, elles étaient aussi respectées que ne pouvait l‘être l’Impératrice elle même, accompagnaient leur souveraine dans chacune de ses sorties diplomatiques, et s’occupaient d’elle comme une mère de ses enfants, avec amour et douceur, admiration et contemplation. Et jamais personne n’avait eu à redire sur cette petite assemblée de pseudo-courtisanes à la loyauté sans limite. Elles étaient là pour le bien et la grandeur de l’Impératrice. Honneur leur était fait d’être élues à ce poste.

Les nouvelles asistis étaient choisies au moment où l’Impératrice nommait elle-même celle qui allait succéder à son pouvoir. Tout cela se faisant avec la plus grande des organisations. En effet, chaque asistis aînée, donc encore en fonction, devait choisir en même temps que les huit autres asisitis une demoiselle qui allait lui succéder sachant que cette nomination n’était possible qu’à partir de sa majorité mineur, c'est-à-dire seize ans. Et, durant la dernière année de sa vie d’asistis, l’aînée devait inculquer les enseignements de sa fonction à l’apprentie pour que celle-ci soit prête le jour de la Renaissance, le jour où la nouvelle Impératrice prenait le pouvoir et était couronnée et donc où l’aînée se retirait pour céder sa place à l’apprentie. Le choix de l’aînée était capital, car il fallait qu’elle soit sûre de sa décision. Une asisitis choisissait souvent son héritière parmi ses proches, que cela soit de la famille ou même des amies. Mais il pouvait aussi arriver que le choix se porte sur une sihonnite dans le besoin, qui était inconnue de l’aînée, mais qui avait besoin d’être aidée. Les valeurs morales et hospitalières étaient prépondérantes dans cette civilisation très particulière. Il était de toute façon très difficile de se tromper, toutes les jeunes filles de Sihonné rêvaient dès leur plus jeune âge d’être asisitis.

Ce qui attendait les élues était, il fallait le reconnaître, loin d’être insurmontable. L’éducation des apprenties consistait essentiellement à confirmer ce qui avait déjà été enseigné lors de l’enfance des demoiselles, à savoir les principes d’honnêteté, de morale, et de loyauté. Il ne fallait pas non plus oublier l’apprentissage d’une vie saine et équilibrée, l’une des bases de l’éducation des enfants sihonnites. L’hygiène de vie avait autant d’importance que les valeurs morales. S’y soustraire était inconcevable.

Certains rouages politiques également étaient inculqués aux futures asistis, comme le fonctionnement du sénat, les ordres établis dans le pays, et même certains procédés diplomatiques lorsqu’il fallait traiter avec des autonomies étrangères. Accompagnant de façon à peu près permanente l’Impératrice en sortie, mieux valait il connaître les façons d’approcher les interlocuteurs d’autres contrées aux mœurs parfois bien étranges pour les sihonnites. Leur apprentissage incluait encore bien d’autres choses, et entre autre même un enseignement aux stratégies militaires.

Et pourtant, tout cela leur était quasiment et bien souvent d’une totale inutilité. Car il fallait bien reconnaître qu’à part entretenir l’Impératrice, les asistis ne faisaient rien d’autre. Elles n’avaient aucun pouvoir, n’étaient pas considérées comme conseillères, ne représentaient donc rien du tout d’un point de vue politique, ne partaient jamais au combat, ne pouvaient se substituer à l’Impératrice si cette dernière ne venait à être absente ou pire. Elles n’avaient même pas le droit aux confidences de leur souveraine. En même temps, cela aurait été plutôt mal perçu ; une Impératrice n’avait à se confier à personne. Se confier signifiait ne pas avoir totale confiance en soi. Un souverain digne de ce nom avait toujours raison, et n’avait pas à demander conseil. Bien sûr, la mise en place du Sénat lors du règne de Sasnasis changea en partie ce point de vue, et autorisa plus de clémence sur ce sujet là.

Mais s’occuper d’une Impératrice était déjà en soit une fonction à temps plein. Elles étaient neuf, et même si le palais impérial était bien plus petit que ne pouvaient l’être certains châteaux de seigneurs étrangers aux ambitions démesurées, le travail ne manquait pas. Il fallait toujours s’assurer que l’Impératrice ne manquât de rien, qu’elle se portât bien, et que le palais soit impeccable. Mais les asistis avaient plaisir à faire cela, et surtout, elles aussi ne manquaient pas d’attention. Elles bénéficiaient des richesses impériales, du confort du palais, puisqu’elles y logeaient, et plutôt agréablement. D’autant que l’Impératrice ne se montrait jamais des plus dures, bien au contraire. Les valeurs morales prenaient toujours le pas sur le matériel. Le respect des autres passait avant le respect des biens. L’Impératrice aimait et vénérait ses asistis, les asistis aimaient et vénéraient leur Impératrice. La relation entre les femmes allait bien au-delà des simples rapports servantes maîtresse. Les asistis couvaient leur souveraine comme une mère ses enfants. Et l’Impératrice respectait ses asistis comme un enfant sa mère. Où, là, en l’occurrence ses mères. Et ceci même si toutes ces femmes avaient le même âge ou presque. Neuf asistis et une Impératrice formant le chiffre dix comme les dix anciennes provinces des terres Aresthie selon l’ancienne légende.

Il est alors plus aisé de comprendre la réaction de tristesse des asistis lorsqu’elles apprirent que Sohina, leur Impératrice, allait se sacrifier et mourir dans une petite heure. Car une mère réagirait de la même façon en apprenant que son fils, ou sa fille, allait mourir.

L’Impératrice suivit Kaïcina, et les deux femmes s’engagèrent vers les salles de bain. Aucune parole ne fut prononcée. Pourtant, l’asistis dut bien se retenir pour ne pas adresser le moindre mot à l’attention de Sohina, ni lui poser la moindre question. Tout comme le capitaine, elle aurait souhaité qu’une autre solution soit trouvée. Et elle ne doutait de la possible existence d’une alternative. Mais elle connaissait les principes fondateurs de Sihonné. L’Impératrice avait pris ses responsabilités. Elle n’avait jamais tort. Elle ne se trompait jamais. Aux yeux du peuple en tout cas.

Après avoir grimpé le long des escaliers en pierre blanche et brillante d’Ascorie, les deux femmes se trouvèrent dans un vaste hall donnant sur trois pièces différentes. A gauche la couche impériale, à droite la couche de l’apprentie Impératrice qui aurait due être nommée, et en face la salle d’eau. Elles se dirigèrent donc droit devant elles. Salle de bain était peu dire. Une surface de plus de trois aunes que pour la seule baignade de la souveraine,  ornée de tapisseries dorées, de colonnades dans les plus nobles des pierres, un bassin régulièrement nettoyé mesurant pas loin de trois perches par deux. Le tout avec une terrasse s’ajoutant à la surface de la pièce, terrasse dont l’accès pouvait s’ouvrir et se fermer à volonté par un judicieux jeu de portes de bois coulissantes, habillées de toiles et de tapisseries. Nous parlons après tout du palais de l’Impératrice, pas d’une grotte du lépreux d’à côté.

L’asistis allégea Sohina de sa tunique de soie sobrement nouée par une ceinture de toile et invita l’Impératrice à se plonger dans l’eau parfumée à la lavande de Nalpi ce qu’elle fit en descendant les marches sans rien dire, sans rien regarder d’autre que ce qu’il se passait ou ne se passait pas droit devant elle. Seul le bruit de l’eau résonnait dans la vaste pièce aux pierres froides et aux toiles de couleur chaudes. La température de l’eau convenait tout à fait à l’Impératrice. L’asistis se dénuda à son tour, et enleva gracieusement sa toge. Elle rentra ensuite dans l’eau après avoir prit un gant de laine et ne tarda pas à frotter la peau de l’Impératrice.

Elle remarqua un curieux bruit. Un léger sanglot. Gênée et ayant compris, elle continua sa tâche comme si de rien n’était, retenant une forte envie de pleurer. Sohina elle n’avait plus réussi à se contenir. Les larmes coulèrent dans l’eau, en lent goutte à goutte.

- « J’ai peur de mourir », réussit-elle à avouer à son asistis entre deux sanglots. «  J’ai peur » !

Kaïcina prit la main de l’Impératrice sans rien dire, la serrant fortement, puis continua de purifier le corps de Sohina.


14 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *1*

Les dernières compagnies de cavaliers s’élançaient au combat alors que revenaient par petites bribes des groupes de survivants. Les rescapés de l’enfer. Il aurait été bien prétentieux de prétendre cela alors que le combat n’était pas fini, et qu’une fois le sort des derniers courageux à se risquer au combat réglé, ces prétendus rescapés seraient ravagés avec tout un peuple qu’ils auront été dans l’incapacité de pouvoir défendre. Il fallait reconnaître que ce combat semblait perdu d’avance avant même d’avoir commencé. Que pouvaient donc bien faire un petit millier de soldat sihonnites face à l’armada farouche et putride du Tibreska. Pas moins de dix milles Tibreskaïans armés jusqu’aux dents nés pour détruire, tuer, et piller. Des années de conflits qui avaient suffit à user les habitants de Sihonné et aguerrir des monstres sanguinaires. Et pourtant, un espoir résidait. Car l’Impératrice Sohina n’avait pas encore abandonné. Et surtout, elle savait qu’elle avait le pouvoir de faire cesser cela. Et incontestablement, elle devait faire cesser cela.

L’heure était grave, le temps pour réagir très court, voire insuffisant. Les sénateurs avaient été réunis par l’Impératrice Sohina. Et le plus succinctement, mais aussi le plus clairement possible, elle avait exposé ses intentions, son choix. Et aussitôt, si la plupart des vieillards qui lui faisaient face ne pouvaient que se contenter de ce revirement, quelques voix s’exprimèrent contre, avec, il fallait le noter, un certain fatalisme, et un manque de conviction. La fougue et la rage semblaient bien loin des terres de Sihonné. Ce fut le capitaine des armées Disetrimé qui se fit le premier entendre. Hautain et fier, une partie de sa grandeur semblait malgré tout s’être effacée. Le poids de l’échec et de la tristesse pesaient lourd sur ses épaules, et sur son cœur.

- « Je ne pense aujourd’hui pouvoir faire changer le sens du vent. Le grand Othé ne semble plus vouloir nous être favorable. » Il respira un grand coup, puis, casque sous la main, marchant devant les sénateurs assis confortablement, il reprit : «  Nous avons faillit face à plus fort que nous, et je doute qu’il puisse y avoir honte à cela. Nos hommes n’ont pas manqué de courage, et à l’heure où je vous parle, les combats n’ont pas encore cessé. Une poursuite d’une bataille bien inutile. Tout cela aurait pu être évité si les incapables que vous êtes avaient réagi avant, plutôt que de se complaire dans une compassion de pacotille. »

A
présent, le capitaine était littéralement dévisagé par l’ensemble de l’assemblée, et son ton plus agressif n’arrangeait rien. Il ne cherchait plus à plaire à ce qu’il considérait comme les cloportes du pouvoir.

-« Qui a voulu la paix avec le grand Inquisiteur ? Qui a laissé faire et a refusé de voir ce qu’il se tramait derrière ces montagnes alors que tout le monde savait ? Qui aujourd’hui a envoyé tous ces hommes à une mort certaine parce qu’il était trop tard pour réagir ? ». Le capitaine ne contenait plus sa colère, ni sa salive d’ailleurs. La dignité imputable à son rang ne lui était plus chose utile.

-« Il est curieux de vous voir ici en tout cas pour un homme qui se dit de guerre », lança au milieu de la salle l’un des sénateurs. Et pas n’importe lequel. Octivus Noméanus le régent des terres de Fazioza. Le grand Octivus Noméanus à qui le peuple devait un traité de paix avec le grand Inquisiteur de Tibreska il y a dix ans. A préciser qu’Octivus avait aussi été accusé de corruption et de s’être fourvoyé avec l’ennemi. Accusation jamais prouvées, évidemment. Il ne serait plus sur les marches du forum sénatorial pour sûr. Même si tout le monde le savait très bien.

L’attaque du sénateur à l’encontre du capitaine Disétrimé avait fait mouche. Et alors que ce dernier s’apprêtait à répondre, voir autre chose, au sénateur Octivus, ce fut la voix apaisante de l’Impératrice Sohina qui résonna dans l’hémisphère. Apaisante par sa douceur, pas par ses propos et sa rancœur à peine contenue.

- « C’est moi qui ai demandé au capitaine Disétrimé de rester à mes côtés », déclara-t-elle pour disculper tout soupçon de lâcheté à propos du chef des armées. Puis elle continua avec calme. « Je ne vous ai pas  réuni en cette heure grave pour d’inutiles rendements de comptes. Un peuple est dans la souffrance et l’incertitude, il est trop tard pour revenir ainsi en arrière. Cela n’arrangera rien, et les sihonnites attendent autre chose de notre part. J’ai le pouvoir de faire cesser cette guerre, et de …

- « Et de mourir », coupa avec virulence le capitaine totalement désemparé. « Vous connaissez la prophétie ! Vous savez que vous y perdrez la vie ! Et vous savez qu’il existe un autre moyen de s’en sortir ! »

L’Impératrice considéra un long instant le capitaine, puis, s’approcha de l’homme pour lequel elle avait beaucoup d’admiration. Peut être l’aurait elle épousé si les choses avaient été autrement. Elle n’avait aucun doute sur les sentiments qu’il pouvait avoir pour elle, même si il ne lui avait jamais rien avoué. Elle avait plus de doute sur ses sentiments à elle. Mais le problème n’était plus là. Elle se tourna vers les sénateurs, et choisit à nouveau d’apaiser les haines en montrant sa volonté et son amour pour le peuple sihonnite.

- «  Tout le monde connaît la prophétie », répondit elle à l’intention de Disétrimé. « Et moi bien plus que vous tous ! Parce que je sais parfaitement le sort qui m’attend. Et quel honneur peut égaler celui de pouvoir sauver le peuple sihonnite. Il n’y a plus aucune échappatoire, aucune autre solution. Je suis né pour le peuple de Sihonné ! Je dois mourir pour ce peuple. Mon sacrifice ne peut être évité, et je suis heureuse de pouvoir le faire. »

Une larme s’extirpa de son œil, et roula sur  sa joue rose pour descendre tout le long de son corps. Elle ne fit rien pour la retenir. Elle s’abstint tout de même de pleurer, ceci par le plus grand des efforts, et se contenta de serrer les poings. Elle regarda furtivement le capitaine, puis s’adresse à nouveau aux sénateurs et à toutes les personnes présentes, comme pour se convaincre elle-même plus que toute autre personnes, même si, au fond d’elle-même, la plus grande des fiertés l’habitait, et que pour rien au monde, elle ne reviendrait sur sa décision, à moins que les évènements lui imposassent un autre choix. Il était toujours autorisé de rêver. Mais il était peu probable que les troupes barbares tibreskaïans changent d’avis et décident de cesser le feu et la guerre.

- « Je suis une aséthriste ! J’ai été élue par les dieux pour le bien être des sihonnites et de leurs terres ! ». Puis elle se dirigea vers la petite fontaine protocolaire, se lava les mains et le visage, et, après s’être essuyée, donna ses dernières instructions, montrant que tout était clairement décidé. « Que l’on prépare la cérémonie et que les hommes sur le front soient rappelés. Je partirais dans un octiers. »

- « Dans une heure ? », s’exclama Disétrimé, surpris de la rapidité des évènements, et surtout réalisant qu’il n’allait plus voir la femme pour laquelle il éprouvait tant de sentiments bien longtemps.

- « Vous avez bien compris Capitaine Disétrimé », répondit l’Impératrice Sohina de façon plutôt sèche et sans chaleur. « Je dois maintenant retrouver les asistis pour l’ablution divine. Que l’on ne me dérange plus. Et que plus aucune parole ne me soit adressée. »

A
lors qu’elle s’avançait vers ses quartiers personnels pour retrouver ses neuf asistis qui allaient s’occuper d’elle comme elles l’avaient toujours fait, les deux gardes ouvrirent les deux portes devant son passage et s’inclinèrent à son passage, comme l’ensemble des sénateurs et toutes les autres personnes présentes. Le capitaine Disétrimé se releva en même temps que les autres et prit la direction opposée à la grande Impératrice Sohina pour retrouver ses hommes au combat, ou ce qu’il en restait, et leur donner l’ordre de battre en retraite. Il ne savait pas ce qui allait réellement se passer, et de quelle façon le sacrifice de l’Impératrice allait se matérialiser. Mais qu’importe. La Grande Sohina lui avait demandé de rappeler ses hommes. Il devait obéir. Il n’oublia pas au passage de jeter un œil furtif vers le sénateur Octivus Noméanus. Ce dernier ne semblait pas particulièrement malheureux de la situation. Le capitaine savait déjà qu’il devrait toujours surveiller cet homme bien trop avide de pouvoir.

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