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Sihonné et autres récits
14 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *2*

La porte se referma lourdement derrière Sohina et Kaïcina se rua sur son impératrice. L’asistis perdit tout sang froid et enserra dans ses bras l’Impératrice qui se contenta de rester stoïque, debout, sans rien dire, ni rien faire, se laissant faire passivement. Et alors que Kaïcina ne retenait nullement sa peine, pleurant et sanglotant sans retenue, Sohina elle semblait rester indifférente à tout ce qui pouvait se passer autour d’elle à présent.

- « Asistis Kaïcina », intervint une voix derrière elles. « Nous allons devoir entamer les ablutions. Conduisez la grande Aséthriste à son bain et dénudez là. Concentrez-vous sur votre tâche. Nous sommes toutes tristes. Mais les explosions de sentiments ne changeront rien et n’arrangeront rien. »

L
a voix sèche de l’asistis Chaïna avait suffit à calmer Kaïcina alors que les sept autres femmes au service de l’Impératrice peinaient à retenir leurs larmes. Aucune ne montra de l’hostilité à l’égard de l’attitude familière de Kaïcina, et chacune se hâta à la préparation du protocole. Tout devait être impeccable. Tout devait être à la hauteur de la grande Impératrice. Et cette dernière préparation de leur souveraine aurait un goût bien particulier, même si la fierté d’être asistis résidait au plus profond de leur cœur.

L’asistis n’est pas n’importe qui, il convient de le rappeler. Et il serait bien maladroit de les considérer comme les simples domestiques de l’Impératrice, alors qu’elles jouissaient d’un statut bien particulier, et plus que privilégié. A ce titre, elles étaient aussi respectées que ne pouvait l‘être l’Impératrice elle même, accompagnaient leur souveraine dans chacune de ses sorties diplomatiques, et s’occupaient d’elle comme une mère de ses enfants, avec amour et douceur, admiration et contemplation. Et jamais personne n’avait eu à redire sur cette petite assemblée de pseudo-courtisanes à la loyauté sans limite. Elles étaient là pour le bien et la grandeur de l’Impératrice. Honneur leur était fait d’être élues à ce poste.

Les nouvelles asistis étaient choisies au moment où l’Impératrice nommait elle-même celle qui allait succéder à son pouvoir. Tout cela se faisant avec la plus grande des organisations. En effet, chaque asistis aînée, donc encore en fonction, devait choisir en même temps que les huit autres asisitis une demoiselle qui allait lui succéder sachant que cette nomination n’était possible qu’à partir de sa majorité mineur, c'est-à-dire seize ans. Et, durant la dernière année de sa vie d’asistis, l’aînée devait inculquer les enseignements de sa fonction à l’apprentie pour que celle-ci soit prête le jour de la Renaissance, le jour où la nouvelle Impératrice prenait le pouvoir et était couronnée et donc où l’aînée se retirait pour céder sa place à l’apprentie. Le choix de l’aînée était capital, car il fallait qu’elle soit sûre de sa décision. Une asisitis choisissait souvent son héritière parmi ses proches, que cela soit de la famille ou même des amies. Mais il pouvait aussi arriver que le choix se porte sur une sihonnite dans le besoin, qui était inconnue de l’aînée, mais qui avait besoin d’être aidée. Les valeurs morales et hospitalières étaient prépondérantes dans cette civilisation très particulière. Il était de toute façon très difficile de se tromper, toutes les jeunes filles de Sihonné rêvaient dès leur plus jeune âge d’être asisitis.

Ce qui attendait les élues était, il fallait le reconnaître, loin d’être insurmontable. L’éducation des apprenties consistait essentiellement à confirmer ce qui avait déjà été enseigné lors de l’enfance des demoiselles, à savoir les principes d’honnêteté, de morale, et de loyauté. Il ne fallait pas non plus oublier l’apprentissage d’une vie saine et équilibrée, l’une des bases de l’éducation des enfants sihonnites. L’hygiène de vie avait autant d’importance que les valeurs morales. S’y soustraire était inconcevable.

Certains rouages politiques également étaient inculqués aux futures asistis, comme le fonctionnement du sénat, les ordres établis dans le pays, et même certains procédés diplomatiques lorsqu’il fallait traiter avec des autonomies étrangères. Accompagnant de façon à peu près permanente l’Impératrice en sortie, mieux valait il connaître les façons d’approcher les interlocuteurs d’autres contrées aux mœurs parfois bien étranges pour les sihonnites. Leur apprentissage incluait encore bien d’autres choses, et entre autre même un enseignement aux stratégies militaires.

Et pourtant, tout cela leur était quasiment et bien souvent d’une totale inutilité. Car il fallait bien reconnaître qu’à part entretenir l’Impératrice, les asistis ne faisaient rien d’autre. Elles n’avaient aucun pouvoir, n’étaient pas considérées comme conseillères, ne représentaient donc rien du tout d’un point de vue politique, ne partaient jamais au combat, ne pouvaient se substituer à l’Impératrice si cette dernière ne venait à être absente ou pire. Elles n’avaient même pas le droit aux confidences de leur souveraine. En même temps, cela aurait été plutôt mal perçu ; une Impératrice n’avait à se confier à personne. Se confier signifiait ne pas avoir totale confiance en soi. Un souverain digne de ce nom avait toujours raison, et n’avait pas à demander conseil. Bien sûr, la mise en place du Sénat lors du règne de Sasnasis changea en partie ce point de vue, et autorisa plus de clémence sur ce sujet là.

Mais s’occuper d’une Impératrice était déjà en soit une fonction à temps plein. Elles étaient neuf, et même si le palais impérial était bien plus petit que ne pouvaient l’être certains châteaux de seigneurs étrangers aux ambitions démesurées, le travail ne manquait pas. Il fallait toujours s’assurer que l’Impératrice ne manquât de rien, qu’elle se portât bien, et que le palais soit impeccable. Mais les asistis avaient plaisir à faire cela, et surtout, elles aussi ne manquaient pas d’attention. Elles bénéficiaient des richesses impériales, du confort du palais, puisqu’elles y logeaient, et plutôt agréablement. D’autant que l’Impératrice ne se montrait jamais des plus dures, bien au contraire. Les valeurs morales prenaient toujours le pas sur le matériel. Le respect des autres passait avant le respect des biens. L’Impératrice aimait et vénérait ses asistis, les asistis aimaient et vénéraient leur Impératrice. La relation entre les femmes allait bien au-delà des simples rapports servantes maîtresse. Les asistis couvaient leur souveraine comme une mère ses enfants. Et l’Impératrice respectait ses asistis comme un enfant sa mère. Où, là, en l’occurrence ses mères. Et ceci même si toutes ces femmes avaient le même âge ou presque. Neuf asistis et une Impératrice formant le chiffre dix comme les dix anciennes provinces des terres Aresthie selon l’ancienne légende.

Il est alors plus aisé de comprendre la réaction de tristesse des asistis lorsqu’elles apprirent que Sohina, leur Impératrice, allait se sacrifier et mourir dans une petite heure. Car une mère réagirait de la même façon en apprenant que son fils, ou sa fille, allait mourir.

L’Impératrice suivit Kaïcina, et les deux femmes s’engagèrent vers les salles de bain. Aucune parole ne fut prononcée. Pourtant, l’asistis dut bien se retenir pour ne pas adresser le moindre mot à l’attention de Sohina, ni lui poser la moindre question. Tout comme le capitaine, elle aurait souhaité qu’une autre solution soit trouvée. Et elle ne doutait de la possible existence d’une alternative. Mais elle connaissait les principes fondateurs de Sihonné. L’Impératrice avait pris ses responsabilités. Elle n’avait jamais tort. Elle ne se trompait jamais. Aux yeux du peuple en tout cas.

Après avoir grimpé le long des escaliers en pierre blanche et brillante d’Ascorie, les deux femmes se trouvèrent dans un vaste hall donnant sur trois pièces différentes. A gauche la couche impériale, à droite la couche de l’apprentie Impératrice qui aurait due être nommée, et en face la salle d’eau. Elles se dirigèrent donc droit devant elles. Salle de bain était peu dire. Une surface de plus de trois aunes que pour la seule baignade de la souveraine,  ornée de tapisseries dorées, de colonnades dans les plus nobles des pierres, un bassin régulièrement nettoyé mesurant pas loin de trois perches par deux. Le tout avec une terrasse s’ajoutant à la surface de la pièce, terrasse dont l’accès pouvait s’ouvrir et se fermer à volonté par un judicieux jeu de portes de bois coulissantes, habillées de toiles et de tapisseries. Nous parlons après tout du palais de l’Impératrice, pas d’une grotte du lépreux d’à côté.

L’asistis allégea Sohina de sa tunique de soie sobrement nouée par une ceinture de toile et invita l’Impératrice à se plonger dans l’eau parfumée à la lavande de Nalpi ce qu’elle fit en descendant les marches sans rien dire, sans rien regarder d’autre que ce qu’il se passait ou ne se passait pas droit devant elle. Seul le bruit de l’eau résonnait dans la vaste pièce aux pierres froides et aux toiles de couleur chaudes. La température de l’eau convenait tout à fait à l’Impératrice. L’asistis se dénuda à son tour, et enleva gracieusement sa toge. Elle rentra ensuite dans l’eau après avoir prit un gant de laine et ne tarda pas à frotter la peau de l’Impératrice.

Elle remarqua un curieux bruit. Un léger sanglot. Gênée et ayant compris, elle continua sa tâche comme si de rien n’était, retenant une forte envie de pleurer. Sohina elle n’avait plus réussi à se contenir. Les larmes coulèrent dans l’eau, en lent goutte à goutte.

- « J’ai peur de mourir », réussit-elle à avouer à son asistis entre deux sanglots. «  J’ai peur » !

Kaïcina prit la main de l’Impératrice sans rien dire, la serrant fortement, puis continua de purifier le corps de Sohina.


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