La nuit des lames rouges *2*
Les jours qui suivirent la mort de Sohina et le deuil forcé du peuple n’engendrèrent pas la remise en place de l’ordre comme l’auraient pensé l’ensemble du peuple Sihonnite. Au contraire, les sénateurs ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin et continuèrent dans la suite de leurs décisions. Lorsque la citadelle de Sizite sortit de deux jours de somnolence funéraire, ce fut au tour des autres provinces de se voir imposer un sommeil de deux jours pour la mort de leur Impératrice Sohina. Les provinces les plus lointaines se trouvaient jusqu’à dix jours de marche de la cité capitale. Sihonné était un territoire vaste de plus de six millions de centuries à la géographie et la topologie très variée. Il était dès lors normal que l’information circulât avec une certaine lenteur. Les messagers ne manquèrent pas pour autant d’empressement. Comme si la peine et la peur avait pris leurs jambes, la nouvelle ne mit qu’une petite semaine à parcourir tout le territoire, toutes les logias, tous les esprits.
Certaines personnes pour autant jugèrent dispensable de s’appliquer le deuil. Si tous les habitants, tous les enfants, tous les travailleurs, tous les soldats, même commandeurs, observèrent le repos commandité, il n’en fut pas de même pour les sénateurs, eux même à l’initiative. Car pendant que le peuple jeunait et dormait, les discussions au sein du sénat ne manquèrent pas d’animation. Ceci pour ainsi dire aux yeux et à la barbe de tous les sihonnites. Les habitants les plus proches du sénat pouvaient aisément profiter des échanges engagés, la bâtisse sénatoriale et les logias n’étant pas des constructions privilégiant l’intimité mais plutôt le partage et l’ouverture vers les autres. Les asistis elles vivaient toujours dans le palais de l’Impératrice, ce qui leur donna l’opportunité d’entendre bien des voix raisonner dans les couloirs, et bien malgré elles, d’assister au plus inimaginable des débats.
Le débat en question avait été à l’initiative d’Octivus Noméanus, ceci seulement quelques minutes après l’intervention du sénateur Matrémi appelant au deuil. L’ensemble des sénateurs présents avaient été priés, et même forcés à assister à cette réunion qui visait avant tout à remettre en question l’ordre établi.
Le soleil s’était couché depuis un moment, mais sans pudeur, les échanges durèrent longtemps. Les clans au sein du Sénat s’affirmèrent avec véhémence. Si certains défendaient l’intérêt de leur propre personne et de leur confrérie, d’autres souhaitaient avant tout un maintien des choses, et la nomination d’une nouvelle impératrice. Ces derniers représentaient une majorité. Lorsque le soleil se leva, aucune décision n’était prise, et devant la fougue exprimée par ceux qui pouvaient s’appeler les conservateurs, ceux qui souhaitaient le maintien de l’ordre établi, les autres, les réformateurs préférèrent en rester là et reconduire les débats. Mais en fait, il n’y eu pas de repos ni pour un camp, ni pour l’autre, et ce fut à coups de menaces et de promesses que les réformateurs mirent la plus terrible des menaces sur les conservateurs, oubliant toutes les vertus défendues et respectées par l’ordre Sihonnite. L’honnêteté et la courtoisie avaient fait place au mensonge et à l’oppression, ceci devant tout le monde.
L’armée pansait elle ses propres plaies, et n’avait pas de temps et de forces à consacrer à ces querelles dont personne curieusement ne prenait conscience. Le capitaine Disétrimé lui-même sembla ignorer promptement ces agissements révolutionnaires. Les sihonnites prenaient ils réellement la mesure de ce qui se passait sous leurs yeux, d’évidence non. Chacun avait repris ses occupations et préoccupations après la courte période de deuil, et la mémoire de l’Impératrice même commençait déjà à s’effacer des esprits. Entretenir les douleurs morales n’était pas encore une fois dans les habitudes de ce peuple, ce renie se faisant bien inconsciemment.
Au trente deuxième jour après le décès de l’Impératrice et l’appel du sénateur Octivus Noméanus, cette campagne d’usure menée par les réformateurs arriva à son terme, et à sa réussite. Sur les soixante dix sept sénateurs que comptaient le Sénat, cinquante neuf à présent étaient favorable à ce qui pouvait être considéré comme une révolution. Car c’était plus qu’un simple coup d’état qui s’organisait. Si le Sénat prenait le pouvoir, l’ensemble des valeurs qui régissaient Sihonné risquaient d’être mises en charpie. Avec ce renversement de majorité, cet évènement semblait plus que proche, imminent, sachant que rien ne pouvait à première vue changer l’ordre en marche. Dans ces conditions, le Sénat fut encore une fois réunit pour mettre en place les derniers détails de ce qui allait être voté dans les trois jours qui suivraient.
De façon plus qu’évidente, rien ne pouvait plus empêcher les sénateurs de prendre le pouvoir, et les dernières protestations des quelques dix huit conservateurs semblaient bien vaines et inutiles. Le vote allait se faire à bulletin secret pour la forme. La majorité absolue suffirait, même si quelques personnes pourraient être en désaccord. Ceux là ne comptaient à présent plus. D’ailleurs, pour ces renégats du pouvoir, ces révolutionnaires qu’étaient les réformateurs, plus rien d’autre ne comptaient que le pouvoir dont ils allaient faire l’acquisition. Le peuple sihonnite n’avait pas été cité une seule fois. Un nouveau temps s’annonçait pour Sihonné.