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Sihonné et autres récits
19 septembre 2008

Dernière heure d'une Impératrice *5*

Le peuple sihonnite assimilait encore avec peine ce à quoi il était en train d’assister. Le regard pantois des sujets de l’Impératrice lors de son passage au milieu d’eux montrait toute leur détresse et surtout leur incompréhension. La plupart, pour ne pas dire tous, ne comprenait, ou ne réalisaient pas vraiment ce qu’il se tramait devant leurs yeux. Et pourtant, tous savaient à présent le sort qui attendait Sohina, cette Impératrice aséthriste que plus personne n’espérait avant sa nomination il y a déjà dix sept ans de cela. Il fallait bien se rendre compte qu’avant ce que l’on nommait la « révélation » Sohina, dans l’esprit et la tête de tous les sihonnites, jamais plus une aséthriste ne succéderait à Sihonné. Celle qui avait donné son nom au peuple Sihonnite resterait la dernière héritière aséthriste par sa filiation directe avec ses ancêtres. Mais il y eut cette jeune fille qui naquit un jour d’apoguiliade de l’an cent soixante quatorze de l’ère sihonnite.

Issue d’une famille de paysans du nord du pays, et après une enfance relativement tranquille, comme tout enfant sihonnite, son adolescence fut marquée par le départ de sa famille pour Sizite. La sècheresse avait été rude dans cette partie du territoire. La plupart des habitants furent contraints à quitter leur maison. Et à vrai dire, personne n’avait encore réellement remarqué une quelconque particularité dans le comportement de Sohina si ce n’était l’iris de ses yeux étrangement violacée. Même lors de son départ avec ses proches vers la grande citadelle sihonnite, rien ne transparaissait sous son allure de jeune fille. Tout juste semblait elle un peu plus éveillée que les autres, et disposant d’une aisance physique plus développée que les autres jeunes garçons de son âge, mais elle-même n’avait rien remarqué. Son corps était celui d’une jeune fille pratiquant très régulièrement l’exercice physique, une musculature fine et élégante ne dénaturant pas ses vertus féminines. Pourtant, une force cachée résidait au fond d’elle. D’où ce besoin perpétuel de se dépenser, de libérer son corps de ce surplus de vitalité. Ce sont ces aptitudes qui la conduisirent à rentrer dans la grande armée sihonnite seulement trois ans après son arrivée dans la grande cité. A vrai dire, elle y avait songé depuis longtemps. Et personne ne s’opposa à son choix. Il était inimaginable pour un parent sihonnite de s’opposer aux désirs de leurs enfants, surtout une fois passée l’âge de la majorité mineure. Même si la vie pouvait leur être ôtée au combat.

Car comme si la vie de Sohina avait été guidée par les Dieux, ce fut en pleine guerre contre les hordes tibreskaïanes qu’elle entra dans la grande armée sihonnite. Et dès les premiers jours de son intégration, avant même d’avoir participé à sa première bataille, les aptitudes de la future Impératrices furent rapidement remarquées. Sa force était sans commune comparaison. Et sa capacité à réfléchir rapidement également. Mais rien encore qui puisse laisser entendre qu’il pouvait s’agir d’une aséthriste. Personne n’avait du encore remarquer ses yeux violets comme la plus travaillées des améthystes. Et ce fut au simple rang de soldat qu’elle participa à la grande bataille de Sidjé, sa première bataille. Mais au vu de ses qualités déjà constatées, le commandant second de sa cohorte préféra la mettre en première ligne avec les piquiers. L’égalité entre les sexes était une vérité en Sihonné. Particulièrement dans la grande armée.

Cette bataille restera à jamais gravée dans tous les esprits. Car non seulement l’armée Impériale écrasa l’ennemi venu de l’autre côté des montagnes Sonossolé, mais le combat révéla une  nouvelle Impératrice aséthriste dont la présence fut capitale pour la victoire. Les soldats sihonnites présents, près de dix milles à cette époque, purent témoigner des exploits de la jeune fille pourtant juste âgée de seize ans. Elle se battait avec une aisance, une facilité sans comparaison avec ses compagnons d’arme. Ses gestes étaient précis, incisifs, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Même pas la lame qui lui blessa pourtant profondément le mollet. La puissance qu’elle dégageait impressionnait les soldats, terrorisait ses adversaires. Le plus marquant restait la façon dont elle manipulait ses deux sinolines. Car non contente de tenir sa grande lame d’acier d’une seule main, elle en avait ramassé une autre à terre, et s’en servait avec une aisance surnaturelle comme si celles-ci avaient été faites dans le plus léger des matériaux.

Et malgré la victoire, lorsque le combat fut terminé, les neuf cohortes rentrèrent dans le plus grand des silences, conscients de ce à quoi ils venaient d’assister. Sa  blessure au mollet la faisait souffrir. Sohina refusa d’être portée, et marcha en grimaçant jusqu’à la grande citadelle de Sizite. Plus de cinq heures de dure marche sous un soleil étouffant. Et curieusement, elle ne semblait pas encore se rendre compte de ce qu’il était en train de se passer. A peine réalisait-elle la portée de son exploit. La hauteur de son exploit. Et lorsqu’avec les autres soldats, elle traversa la porte nord et s’apprêta à rentrer dans les quartiers militaires pour se reposer, elle fut surprise, voire embarrassée de se faire appeler par le commandeur suprême. Et ce sentiment s’amplifia davantage quand ce même commandeur suprême, accompagné des neuf commandeurs seconds, l’invita à se présenter devant l’Impératrice en personne.

Entourée à présent de tous les commandeurs que comptait Sihonné, elle marcha anxieuse le long du couloir de la demeure impériale, ceci jusqu’à la salle de détente de l’Impératrice Issinia. Cette dernière discutait avec l’asistis Céïphali, et à leur mine grave, Sohinna ne sut plus où se mettre. Et il fallut que l’Impératrice, apercevant la demoiselle de tous les exploits, bondisse littéralement sur Sohina pour que celle-ci, toujours confuse, se libère de son inquiétude jusqu’alors croissante. Bien sûr, elle ne comprenait toujours pas la situation, mais au moins, les ennuis ne semblaient plus s’annoncer. Aussi, resta-t-elle stoïque face à la réaction de son Impératrice dont le comportement visiblement la surprit pour le moins. Elle parvint tout de même à afficher un sourire reconnaissant et demanda confuse mais rassurée à la grande Impératrice Issinia qu’elle rencontrait pour la première fois ce qu’il se passait. Et tentant de contenir son excitation, l’Impératrice lui répondit en la regardant droit dans les yeux, un grand sourire illuminant son visage légèrement ridé par le temps :

- « Vous êtes aséthriste mon enfant ! Vous rendez vous compte ? »

Sohina la fixa, incrédule, montrant indiscutablement que non, elle ne se rendait pas vraiment compte. Une soudaine démangeaison la força à plier sa jambe et à poser sa main sur son mollet blessé pour le soulager, la sortant momentanément de sa torpeur. Cela n’était pas des plus élégants, mais l’envie était trop forte pour être contenue. Et aussitôt le bout de ses doigts encore couverts de sang séché au contact de ce qui aurait du être une plaie béante, une curieuse sensation l’envahit à nouveau. Il était déjà curieux que la douleur ait ainsi régressé. Mais à présent, il était encore plus incroyable de constater que la blessure venait de commencer à se cicatriser.

- « Déjà en voie de guérison ? », demanda satisfait le commandeur suprême Athias comme pour lui prouver ce que venait de lui annoncer l’Impératrice.

Sohina jeta un œil sur sa jambe pour se rendre compte qu’effectivement, la plaie, encore très laide, commençait, et ce de façon significative, à se refermer. Inutile de préciser qu’en principe, Sohina devrait être en train de souffrir, et des soins auraient du être prodigués pour stopper l’hémorragie et désinfecter la blessure. Rien de tout cela n’avait été nécessaire. Un miracle avait eu lieu. Et malgré cela, Sohina ne réalisait pas encore. Elle se demandait même si l’Impératrice s’était réellement adressée à elle.

- « Avez-vous peur jeune fille », demanda toujours avec une certaine jovialité Issinia ?

Sohina regarda à nouveau l’Impératrice fixement, puis, tentant de se ressaisir, elle répondit simplement :

- « Je n’ai pas peur Dame Issinia.»

L’Impératrice Issinia fixa à son tour la demoiselle en face d’elle, puis pris le visage de Sohina entre ses mains pour finalement lui annoncer qu’elle avait trouvé celle qui allait lui succéder. Et ainsi, Sohina, le trentième premissi d’Infantiade de l’année cent quatre vingt onze fut choisit à la succession d’Issinia pour devenir la huitième Impératrice sihonnite. Et ce qui avait été sa première bataille resterait aussi sa dernière. Car en aucun cas une Impératrice n’était en droit de risquer sa vie sur le champ de guerre. Et après un an d’apprentissage sous le règne d’Issinia, Sohina devint officiellement Impératrice.

Et force est de constater que son règne marqua les sihonnites bien plus que les autres Impératrices, Sihonné également. Sohina était aséthriste alors que plus rien ne pouvait laisser entrevoir l’espoir de revoir héritage de l’ancienne civilisation d’Aséthrie. Mais au-delà de cet aspect, bien des évènements survinrent durant ses seize ans de règne. Des évènements qui multiplièrent les situations et prises de décisions délicates pour Sohina. Des évènements qui finalement la conduisirent ce jour là à se sacrifier grâce à ses capacités aséthristes, et ce sous les yeux d’un peuple qui avait la plus grande des admirations pour leur Impératrice.

Elle n’était plus visible à présent pour tous ceux qui étaient postés sur le premier rempart. Son passage sous le porche de la grande porte nord avait eu lieu il y a maintenant pas loin d’une heure. Chacun attendait que quelque chose arrive, qu’un miracle s’exprime sous leurs yeux, sans savoir de quelle façon celui-ci interviendrait. Un silence sans fin se répandait parmi les quelques milliers de personnes présentes. Puis il y eu un bruit sourd. Un grondement bref mais clairement perceptible qui fit jusqu’à trembler la terre sous les pieds. Tous retinrent leur souffle. Ensuite, ce fut une lumière qui éclaboussa toute la plaine de Sidjé. Une lumière qui s’éteignit d’un seul coup pour rayonner la seconde d’après avec d’avantage d’intensité. Une intensité telle que les sihonnites contemplant le spectacle durent fermer leurs yeux. Succéda enfin un bruit de tonnerre assourdissant pour terminer sur un vent violent particulièrement chaud, qui ne manqua pas de faire vaciller certains des spectateurs présents.

Puis à nouveau un silence. Tout rentra dans l’ordre. Personne ne douta de la réussite de Sohina, même si la plupart, pour ne pas dire tous, ne comprenait pas réellement ce qu’il avait bien pu se passer. Leur Impératrice était morte, et eux vivant grâce à elle. Voilà tout ce qui comptait.


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