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Sihonné et autres récits
21 septembre 2008

Dernière heure d'une Impératrice *6*

Sohina était à présent trop loin pour être vue à l’œil nu. Tout juste le capitaine Disétrimé pouvait il apercevoir une petite tâche blanche au milieu de la verdoyante plaine de Sidjé s’avancer vers la masse grouillante dont il était juste possible de voir la poussière qu’elle soulevait. Les troupes tibreskaïanes évoluaient à vive allure visiblement. Et les choses semblaient se précipiter inéluctablement. Il ne devait y avoir guère plus d’un demi mille entre l’Impératrice et le nuage brun que répandaient derrière eux les soldats du Tibreska. Mais l’approche de la confrontation n’enleva pas au capitaine son discernement. Aussi, eut-il le réflexe de reprendre son longue œil pour observer les choses plus précisément, et pour encore contempler Sohina un dernier instant.

Machinalement, ce fut d’abord vers les tibreskaïans qu’il orienta son instrument. Il lui était impossible de voir le visage de ces êtres repoussants, le longue œil pouvant permettre de voir loin, mais ayant tout de même ses limites, mais il suffisait de voir leur façon de progresser vers la cité de Sizite pour constater leur détermination. En rang bien ordonnés, serrés les uns contre les autres, ils couraient à très vive allures, cimeterres en avant, et rien ne semblaient plus pouvoir se mettre en travers le chemin. C’est d’ailleurs en se demandant encore de quelle façon Sohina allait pouvoir les arrêter que son attention et son longue œil se tournèrent vers cette dernière. Il ne la quitta d’ailleurs plus jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus la voir.

Elle était déjà nue. Un léger vent ondulait ses longs cheveux noirs. Sa peau blanche scintillait au milieu de l’étendue verte mystérieusement assombrie. Elle avançait sereinement face à son destin, et rien ne laissait entrevoir la moindre hésitation dans sa démarche. Curieusement, elle tenait sa main droite contre le haut de son torse. Peut être tenait-elle quelque chose. C’était en tout cas ce dont avait l’impression le capitaine Disétrimé à travers ce qu’il pouvait voir. Etant dans son dos, il ne put avoir la chance de regarder une dernière fois le visage de Sohina. Il ne cessait de se demander si celui-ci exprimait de la peur, de la joie, ou de l’indifférence. Ou autre chose. Finirait-elle sa vie heureuse ou triste ? Et surtout, souffrirait-elle ? Le capitaine lui-même se surprit à ressentir une certaine angoisse face à ses interrogations.

Puis après quelques minutes, une curieuse lueur le sortit de ses pensées. Elle semblait émaner de la main que Sohina avait posée sur le haut de son corps. Petit à petit, l’étrange lumière  grossissait à vue d’œil, mais rien encore qui aurait pu empêcher qui que ce soit de contempler ce qu’il se tramait. Un tout petit mouvement de son longue œil permit au capitaine de constater que les troupes Tibreskaïanes n’étaient plus qu’à quelques arpents de l’Impératrice. Trois ou quatre. Ils allaient se ruer sur elle d’ici quelques petites secondes. C’est à ce moment précis que les évènements dépassèrent tout ce qu’aurait pu imaginer Disétrimé.

La lumière se déploya  progressivement en une étrange sphère violacée qui entoura Sohina sur un rayon d’au moins deux ou trois arpents. Les monstres hideux du Tibreska rentrèrent à l’intérieur du demi globe transparent comme si de rien n’était. La lueur qui émanait du poitrail de Sohina n’avait pas régressé pour autant. Au contraire, la jeune femme  se retrouvait à présent totalement recouverte d’une nappe étincelante pas loin d’être aveuglante. Les premières hordes de soldats bondirent littéralement sur la masse lumineuse d’où il n’était plus possible de distinguer Sohina. Le contact fut très rude pour les tibreskaïans qui valdinguèrent comme de vulgaires poupées sans pour autant faire vaciller la pauvre Impératrice offerte à la violence de ses assaillants. La sphère violacée qui entourait l’Impératrice et qui n’avait cessé de croître se recroquevilla d’un seul coup sous l’œil observateur de Disétrimé pour disparaître totalement. Tout s’arrêta alors. Une dernière fois, le capitaine vit la princesse, ceci l’espace de quelques secondes, libérée de l’étreinte de cette mystérieuse lumière. Les monstres ne cessaient de lui bondirent dessus pour à chaque fois être projetés comme de vulgaires fétus de paille sans pouvoir la faire ne serait-ce que trembler.

La lumière explosa  alors littéralement du corps de Sohina, obligeant Disétrimé à masquer ses yeux pour ne pas être aveuglé. Il se contenta de regarder entre ses doigts pour tenter vainement d’atténuer l’intensité lumineuse. Celle-ci s’éteignit aussi rapidement qu’elle était apparue. Le capitaine avait alors devant ses yeux  un énorme nuage sombre et violet qui se formait et se répandait au dessus de la plaine. Ayant conservé une partie de son sang froid, il reprit son longue-œil et rejeta son regard vers le sol, là où avait été Sohina. Elle s’était volatilisée en même temps que la lumière s’était éteinte. Et de l’endroit duquel l’avait vu pour la dernière fois Disétrimé partait l’énorme nuage, mais surtout un cercle de poussière qui s’étalait et progressait à une incroyable vitesse, balayant tout sur son passage. L’intégralité des troupes du Tibreska furent simplement pulvérisées à son contact.

Le capitaine réalisa rapidement qu’il s’agissait d’un souffle à la puissance et la vitesse sans limite qui n’épargnerait rien sur son passage : arbres, animaux, tibreskaïans, pierres. Rien ne pouvait résister à la fureur de ce vent ravageur et punisseur qui ne laissa aucune chance à ses adversaires de s’en sortir. Puis, quelques secondes seulement après le début de sa formation, ce cercle venteux commença à diminuer d’intensité pour terminer en un vent chaud plus faible qu’à son apogée, mais encore très fort. Suffisamment pour que le capitaine se sente obligé de protéger ses yeux et de se courber pour y faire face lorsque celui-ci arriva sur la citadelle. Puis une fois le vent passé, plus rien. Le silence regagna la citadelle. Un épais nuage de poussières noires rendait à présent la vue difficile. Une odeur de carbonisé planait dans l’air, agressant allègrement les narines du capitaine.

Il descendit lentement de la tour de commandement, tentant de reprendre progressivement ses esprits, regagna les quartiers militaires, et sortit directement retrouver les autres soldats valides qui devaient encore se trouver du côté de la porte nord. Il ne partagerait rien de ce qu’il avait vu. Mais il avait conscience d’être un spectateur privilégié. Il sera le dernier à avoir vu Sohina vivante, et surtout, il sera le seul à avoir vu ce qu’il s’était passé.

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