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Sihonné et autres récits
28 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *4*

Alors qu’elle passait au milieu de ce peuple qu’elle chérissait au plus profond d’elle, la grande porte nord s’ouvra devant elle. Le silence pesant renforçait son impression de solitude. Car même si elle croyait réellement à la justesse de son acte, elle était à présent seule, et personne ne l’accompagnerait au milieu de cette plaine où sa vie serait donnée pour la survie d’un peuple entier. Elle marchait tel un funambule, ne regardant rien autour d’elle, fixant ces hautes montagnes d’où semblait venir le châtiment du grand inquisiteur. Elle n’aurait pas besoin de parcourir un aussi long chemin. La plaine de Sidjé grouillait déjà de la plus repoussante des vermines tibreskaïannes. Le temps était compté, et il fallait presser le pas, car les hordes du grand Inquisiteur évoluaient rapidement. L’Impératrice savait qu’elle devait se dépêcher. Elle n’osait pas imaginer l’éventualité d’agir alors que la cité resterait encore trop proche. Un désastre sans nom.

Un léger courant d’air en provenance du nord vint lui caresser froidement le visage. Les montagnes du nord semblaient vouloir la défier par cette provocation qui la fit à peine frémir. Ces énormes crocs noirs s’étendaient devant elle à perte de vue. Si loin et pourtant paraissant si proches. Quelques jours de marches tout au plus. Mais elle n’aurait pas besoin d’aller si loin. La mâchoire purulente avait déversé toute sa salive venimeuse dans la plaine pure de Sidjé. Les monstres de Tibreska s’approchaient tout nombreux qu’ils étaient. Sohina n’avait aucune peine à s’imaginer ces soldats à la peau noire et rêche, aux dents longues et pointues, ruisselant de sang et de salive. Des êtres crées par l’innommable. Par le grand Inquisiteur. Ils avaient semblé se multiplier avec une rapidité effarante. Et plus rien ne semblait pouvoir arrêter leur progression sans fin. Leur soif apparente de destruction et de haine. De violence et de mort. Des sentiments totalement incompréhensibles pour les sihonnites et leur Impératrice.

Car en effet, Sohina ne ressentait pas la moindre haine à l’égard des tibreskaïans. Ils étaient adversaires des sihonnites, et à cet égard, tout le respect devait leur être du. Ils s’étaient affronté à armes égales, et avaient su se montrer plus fort que la grande armée sihonnite qui n’avait plus de grand que son nom. Et de toute façon, même si les moyens utilisés par l’ennemis se trouvaient être déloyaux ou immoraux, l’Impératrice et les sihonnites n’en tiendraient pas rigueur. Chacun avait ses valeurs. Et les sihonnites en général n’avaient pas la prétention d’être les meilleurs. Ils cherchaient juste leur voie et la prospérité. Mais ils étaient par contre prêts à tout mettre en œuvre pour défendre Sihonné et ses habitants. D’où la décision de l’Impératrice de se sacrifier. Car aucune vie ne pouvait justifier de la fin de la civilisation sihonnite. Le contraire si. Et l’Impératrice ne faisait pas exception, elle qui marchait vers son inéluctable fin.

Jamais elle ne se retourna. Jamais elle ne fut tentée de regarder une dernière fois ceux pour qui elle allait mourir. Pas loin de deux milles la séparaient de la grande porte nord de Sizite à présent. Les sihonnites ne devaient plus la voir. Les colonnes désorganisées du Tibreska se présentaient à présent en face d’elle. Sa marche était régulière, et déjà, une éternité semblait s’être écoulée depuis son départ. Les bruits au nord et les soldats tibreskaïans semblaient encore lointains.

L’Impératrice se dépara de son étoffe de lin, que le vent emporta selon son grès. Elle se retrouva alors nue, révélant sa peau claire et blanche comme le froid pur d’apoguiliade, son corps musclé, mais néanmoins souple et mince d’ancienne soldat sihonnite. Seul son pendentif aséthriste pendait à son cou. Une pierre grise sertie dans une légère enveloppe de verre. Elle porta sa main droite dessus et ne le lâcha plus. Et lorsque les premiers hurlements tibreskaïans lui parurent vraiment proches, elle serra encore plus fort le bijou. Les visages de l’ennemi lui apparaissaient à présent clairement. Hideux, monstrueux, emprunts de violence, de colère. Le grand Inquisiteur lâchait tout ses atouts.

Sohina ne pouvait plus fuir. Mais elle n’en avait jamais eu l’envie. Sa main fermement serrée sur son diamant aséthriste, elle n’entendait et ne voyait à présent plus rien. Enveloppée dans une nappe de lumière éclatante, plus rien n’existait, comme si les dieux l’avaient prise dans leurs mains. La pierre autour de son coup étincelait, mais ses yeux ne s’en trouvaient pas gênés pour autant. Elle sentait l’objet la transporter, comme si sa propre personne se voyait allégée du poids de son corps. Sa tristesse avait disparu, jamais elle ne s’était sentie aussi apaisée.

Alors que l’armée du grand Tibreska lui bondissait dessus, une certaine plénitude s’installa au fond d’elle. Et la mort ne lui faisait plus peur. Elle était sihonnite. Elle était aséthriste. La peur n’était qu’un souffle passager qui était venu lui chatouiller l’esprit. Sohina n’avait pas à avoir peur. Son destin était à présent aux mains des dieux.
 

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