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Sihonné et autres récits
14 août 2008

Dernière heure d'une Impératrice *1*

Les dernières compagnies de cavaliers s’élançaient au combat alors que revenaient par petites bribes des groupes de survivants. Les rescapés de l’enfer. Il aurait été bien prétentieux de prétendre cela alors que le combat n’était pas fini, et qu’une fois le sort des derniers courageux à se risquer au combat réglé, ces prétendus rescapés seraient ravagés avec tout un peuple qu’ils auront été dans l’incapacité de pouvoir défendre. Il fallait reconnaître que ce combat semblait perdu d’avance avant même d’avoir commencé. Que pouvaient donc bien faire un petit millier de soldat sihonnites face à l’armada farouche et putride du Tibreska. Pas moins de dix milles Tibreskaïans armés jusqu’aux dents nés pour détruire, tuer, et piller. Des années de conflits qui avaient suffit à user les habitants de Sihonné et aguerrir des monstres sanguinaires. Et pourtant, un espoir résidait. Car l’Impératrice Sohina n’avait pas encore abandonné. Et surtout, elle savait qu’elle avait le pouvoir de faire cesser cela. Et incontestablement, elle devait faire cesser cela.

L’heure était grave, le temps pour réagir très court, voire insuffisant. Les sénateurs avaient été réunis par l’Impératrice Sohina. Et le plus succinctement, mais aussi le plus clairement possible, elle avait exposé ses intentions, son choix. Et aussitôt, si la plupart des vieillards qui lui faisaient face ne pouvaient que se contenter de ce revirement, quelques voix s’exprimèrent contre, avec, il fallait le noter, un certain fatalisme, et un manque de conviction. La fougue et la rage semblaient bien loin des terres de Sihonné. Ce fut le capitaine des armées Disetrimé qui se fit le premier entendre. Hautain et fier, une partie de sa grandeur semblait malgré tout s’être effacée. Le poids de l’échec et de la tristesse pesaient lourd sur ses épaules, et sur son cœur.

- « Je ne pense aujourd’hui pouvoir faire changer le sens du vent. Le grand Othé ne semble plus vouloir nous être favorable. » Il respira un grand coup, puis, casque sous la main, marchant devant les sénateurs assis confortablement, il reprit : «  Nous avons faillit face à plus fort que nous, et je doute qu’il puisse y avoir honte à cela. Nos hommes n’ont pas manqué de courage, et à l’heure où je vous parle, les combats n’ont pas encore cessé. Une poursuite d’une bataille bien inutile. Tout cela aurait pu être évité si les incapables que vous êtes avaient réagi avant, plutôt que de se complaire dans une compassion de pacotille. »

A
présent, le capitaine était littéralement dévisagé par l’ensemble de l’assemblée, et son ton plus agressif n’arrangeait rien. Il ne cherchait plus à plaire à ce qu’il considérait comme les cloportes du pouvoir.

-« Qui a voulu la paix avec le grand Inquisiteur ? Qui a laissé faire et a refusé de voir ce qu’il se tramait derrière ces montagnes alors que tout le monde savait ? Qui aujourd’hui a envoyé tous ces hommes à une mort certaine parce qu’il était trop tard pour réagir ? ». Le capitaine ne contenait plus sa colère, ni sa salive d’ailleurs. La dignité imputable à son rang ne lui était plus chose utile.

-« Il est curieux de vous voir ici en tout cas pour un homme qui se dit de guerre », lança au milieu de la salle l’un des sénateurs. Et pas n’importe lequel. Octivus Noméanus le régent des terres de Fazioza. Le grand Octivus Noméanus à qui le peuple devait un traité de paix avec le grand Inquisiteur de Tibreska il y a dix ans. A préciser qu’Octivus avait aussi été accusé de corruption et de s’être fourvoyé avec l’ennemi. Accusation jamais prouvées, évidemment. Il ne serait plus sur les marches du forum sénatorial pour sûr. Même si tout le monde le savait très bien.

L’attaque du sénateur à l’encontre du capitaine Disétrimé avait fait mouche. Et alors que ce dernier s’apprêtait à répondre, voir autre chose, au sénateur Octivus, ce fut la voix apaisante de l’Impératrice Sohina qui résonna dans l’hémisphère. Apaisante par sa douceur, pas par ses propos et sa rancœur à peine contenue.

- « C’est moi qui ai demandé au capitaine Disétrimé de rester à mes côtés », déclara-t-elle pour disculper tout soupçon de lâcheté à propos du chef des armées. Puis elle continua avec calme. « Je ne vous ai pas  réuni en cette heure grave pour d’inutiles rendements de comptes. Un peuple est dans la souffrance et l’incertitude, il est trop tard pour revenir ainsi en arrière. Cela n’arrangera rien, et les sihonnites attendent autre chose de notre part. J’ai le pouvoir de faire cesser cette guerre, et de …

- « Et de mourir », coupa avec virulence le capitaine totalement désemparé. « Vous connaissez la prophétie ! Vous savez que vous y perdrez la vie ! Et vous savez qu’il existe un autre moyen de s’en sortir ! »

L’Impératrice considéra un long instant le capitaine, puis, s’approcha de l’homme pour lequel elle avait beaucoup d’admiration. Peut être l’aurait elle épousé si les choses avaient été autrement. Elle n’avait aucun doute sur les sentiments qu’il pouvait avoir pour elle, même si il ne lui avait jamais rien avoué. Elle avait plus de doute sur ses sentiments à elle. Mais le problème n’était plus là. Elle se tourna vers les sénateurs, et choisit à nouveau d’apaiser les haines en montrant sa volonté et son amour pour le peuple sihonnite.

- «  Tout le monde connaît la prophétie », répondit elle à l’intention de Disétrimé. « Et moi bien plus que vous tous ! Parce que je sais parfaitement le sort qui m’attend. Et quel honneur peut égaler celui de pouvoir sauver le peuple sihonnite. Il n’y a plus aucune échappatoire, aucune autre solution. Je suis né pour le peuple de Sihonné ! Je dois mourir pour ce peuple. Mon sacrifice ne peut être évité, et je suis heureuse de pouvoir le faire. »

Une larme s’extirpa de son œil, et roula sur  sa joue rose pour descendre tout le long de son corps. Elle ne fit rien pour la retenir. Elle s’abstint tout de même de pleurer, ceci par le plus grand des efforts, et se contenta de serrer les poings. Elle regarda furtivement le capitaine, puis s’adresse à nouveau aux sénateurs et à toutes les personnes présentes, comme pour se convaincre elle-même plus que toute autre personnes, même si, au fond d’elle-même, la plus grande des fiertés l’habitait, et que pour rien au monde, elle ne reviendrait sur sa décision, à moins que les évènements lui imposassent un autre choix. Il était toujours autorisé de rêver. Mais il était peu probable que les troupes barbares tibreskaïans changent d’avis et décident de cesser le feu et la guerre.

- « Je suis une aséthriste ! J’ai été élue par les dieux pour le bien être des sihonnites et de leurs terres ! ». Puis elle se dirigea vers la petite fontaine protocolaire, se lava les mains et le visage, et, après s’être essuyée, donna ses dernières instructions, montrant que tout était clairement décidé. « Que l’on prépare la cérémonie et que les hommes sur le front soient rappelés. Je partirais dans un octiers. »

- « Dans une heure ? », s’exclama Disétrimé, surpris de la rapidité des évènements, et surtout réalisant qu’il n’allait plus voir la femme pour laquelle il éprouvait tant de sentiments bien longtemps.

- « Vous avez bien compris Capitaine Disétrimé », répondit l’Impératrice Sohina de façon plutôt sèche et sans chaleur. « Je dois maintenant retrouver les asistis pour l’ablution divine. Que l’on ne me dérange plus. Et que plus aucune parole ne me soit adressée. »

A
lors qu’elle s’avançait vers ses quartiers personnels pour retrouver ses neuf asistis qui allaient s’occuper d’elle comme elles l’avaient toujours fait, les deux gardes ouvrirent les deux portes devant son passage et s’inclinèrent à son passage, comme l’ensemble des sénateurs et toutes les autres personnes présentes. Le capitaine Disétrimé se releva en même temps que les autres et prit la direction opposée à la grande Impératrice Sohina pour retrouver ses hommes au combat, ou ce qu’il en restait, et leur donner l’ordre de battre en retraite. Il ne savait pas ce qui allait réellement se passer, et de quelle façon le sacrifice de l’Impératrice allait se matérialiser. Mais qu’importe. La Grande Sohina lui avait demandé de rappeler ses hommes. Il devait obéir. Il n’oublia pas au passage de jeter un œil furtif vers le sénateur Octivus Noméanus. Ce dernier ne semblait pas particulièrement malheureux de la situation. Le capitaine savait déjà qu’il devrait toujours surveiller cet homme bien trop avide de pouvoir.

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